Numérique, crise, polycrise, et analyse de contexte.

Le mot Polycrise, je l'ai piqué dans un bouquin de Michel Rocard. Il désigne le fait que trois crises majeures, qui chacune pourrait boulverser une quantité incroyable de choses, sont en train de se produire en même temps.

La première, c'est l'explosion à répétition de la finance hors de contrôle. Le dernier cas similaire connu, c'est celui de 1929, qui se traduit par des politiques d'austérité dans toute l'Europe. Ces politiques poussent à la monté des extrêmes dans toute l'Europe, jusqu'à la prise du pouvoir par les fascistes en Italie, les franquistes en Espagne, et les nazis en Allemagne. Regardez bien, on est pile sur cette pente là, et pile dans le timing. Pardon ? Ah oui, la gauche est au pouvoir en France. Oui. Tout juste. En 1936, 3 ans avant la guerre, ça s'appelait le Front Populaire.

La seconde crise, c'est la fin des énergies fossiles. Pour le pétrole, le déclin est commencé, on ne peut pas en produire vraiment plus, et on va même être contraint d'en produire progressivement de moins en moins, et de plus en plus cher. La totalité de notre économie repose sur le postulat que l'énergie ne coûte presque rien. Et, comme le montre très bien JM Jancovici dans ses différentes conférences, le PIB est directement indexé sur la production d'énergie. Retrouver de la croissance sans trouver une source d'énergie bon marché et non-polluante, c'est impossible. Cette crise-là aussi, sera majeure.

La troisième crise, c'est l'avènement du numérique et d'Internet. Je l'ai expliqué dans assez de conférences, allez voir en ligne. La société change. Vite. Beaucoup. Ce changement de société peut se passer relativement en douceur. Ou pas. Le précédent qui vient en tête, c'est l'apparition de l'imprimerie, qui s'est traduit par le protestantisme d'une part (et donc le bain de sang des guerres de religion dans toute l'Europe) puis par les Lumières et la Révolution Française ensuite (pas mal sanguinolante aussi).

Ces trois changements majeurs ont lieu, peu ou prou, en même temps. Et tous les trois peuvent nous amener dans le mur. Et aucun de nos politiques n'en parle sérieusement.

Mon approche initiale

Après avoir pas mal gratouillé le sujet. Après avoir vu Françoise Castex, députée européenne que je respecte pour son travail sur les sujets du numérique, et ses positions (par exemple) contre ACTA, quittait le PS pour Nouvelle Donne, et donc avoir recommencé a gratouiller dans cette direction, je me suis fait une opinion.

J'en arrivais à : être sur une queue de liste électorale, et donc devenir marqué politiquement, c'est sacrifier la légitimité que j'ai (chèrement) acquise sur tous ces sujets, pour n'avoir rien en échange. Pas plus d'écoute, pas plus de capacité d'expliquer à des politiques toujours sourds. Bref, ce serait sacrifier l'utilité que je peux avoir en échange de... rien.

Puis, lors d'une visite à Bruxelles (j'allais expliquer la neutralité du Net à des assistants parlementaires du groupe ALDE), je me retrouve, alors que ce n'était pas prévu à l'agenda initial, à boire quelques bières avec l'assistant parlementaire de Castex. Et lui m'explique clairement qu'il manque un pilier numérique à Nouvelle Donne, et que je devrais me présenter aux européennes, que ça lui semble évident que je pourrais être tête de liste, et qu'en gros, ils pourraient bien adopter un programme sur le numérique que j'aurais écrit à 80%.

La question change alors tout d'un coup. Je pensais que j'obtiendrais au mieux une place inutile en fin de liste. Mais là on me parle d'être peut-être à la tête d'une liste (y'a une procédure à suivre et tout ça, mais au moins ce n'est pas exclus), donc d'avoir une vraie chance pas complètement nulle de me retrouver député européen, et donc d'aller mettre du numérique partout dans le parlement européen...

La gamberge

Du coup, je prend rendez-vous avec Isabelle Attard, qui est membre du bureau national de Nouvelle Donne, et je commence à gamberger sur le sujet. Je me dresse une liste des points négatifs, il y en a une quantité invraissemblable. Je me dresse une liste des points positifs, il y en a 2-3 importants.

Dans les points négatifs, en vrac, c'est pas mon boulot, je n'aime pas travailler en anglais, je vais perdre tout le crédit que j'avais obtenu pour défendre les associations, je vais foutre mon patron dans la merde (il va perdre son directeur technique), je ne serai plus écouté en France, étant marqué politiquement, de toutes façons je ne serai pas élu, et même si j'étais élu, c'est pas moi tout seul qui bougerai le Parlement Européen, et de toutes façons c'est la Commission qui bloque autant qu'elle peut.

Dans les points positifs, il y a le fait que je ne peux pas me plaindre de la politique menée, et refuser de participer quand on me le propose. Il y a que Snowden a montré avec raison que nos gouvernement luttent contre nous, et qu'on ne peut pas laisser passer. Il y a que, quand on veut que quelque chose avance, il faut le faire, au lieu d'en parler.

Comme tout libriste habitué, en pareil cas, je lis. Tout ce que je trouve comme documents sur le fonctionnement interne de Nouvelle Donne, ce que publie le ministère de l'Intérieur sur l'organisation des élections. Les règles pour être candidat, le financement de tout ce merdier, le mode de scrutin, etc.

Alors voilà. Après mûre réflexion, les points négatifs, bon, ils sont négatifs. Mais je ne peux pas raler si je n'ai pas essayé de faire. Je ne saurai pas? Sans doute. J'apprendrai, ou au moins j'aurais essayé.

Du coup, j'en suis à poser le scénario type:

  • Si je me porte candidat à la candidature, il y a toutes les chances pour que je ne sois pas désigné, ou seulement loin sur la liste, et donc avec aucune chance d'être élu. En pareil cas, je retire ma candidature, c'est idiot de sacrifier un acquis pour rien.
  • Si par mégarde j'étais placé en tête de liste, alors, il y a un trou noir. Il faut que je fasse campagne, sérieusement, pendant deux mois. Et donc que je vive sans salaire. J'ai beau avoir un très joli salaire, je n'ai pas un sou de côté. Mettons, je fais clodo pendant deux mois. Normalement, je ne suis pas élu, et je peux retourner au travail. J'ai sacrifié 15 ans de vie associative, mais au moins j'aurais essayé de faire quelque chose.
  • Si jamais je suis élu, alors là c'est la catastrophe. Mais ça devient passionant. J'ai 5 ans pour essayer de faire bouger quelque chose, en espérant que l'Europe de soit pas à feu et à sang avant ça.

Et là, je ne sais pas. J'y vais ? J'y vais pas ?