Oui, et alors ?En vrac, tout ce qui me passe par la tête. J'essaye de ranger, mais pas toujours.2024-03-11T09:57:21+01:00urn:md5:f11ddf38415bb1585210f5b4b16563d5DotclearIntermédiaires techniquesurn:md5:393f320eceb6fd8f058652bd9b22e5db2018-10-08T09:49:00+02:002018-10-10T22:53:39+02:00Benjamin BayartTélécoms<p>C'est un débat ancien autour des libertés numériques, que de délimiter la responsabilité des intermédiaires techniques. Pour essayer de raconter ça, il faut que je fasse appel à des notions assez nombreuses, et parfois peu habituelles dans le domaine. Après un petit rappel des positions historiques, sur les notions d'éditeur et d'hébergeur, je vais poser quelques notions venues d'autres domaines, ou de phénomènes plus récents. Le but est d'essayer de proposer une grille de lecture différente : un troisième statut, quelque part entre éditeur et hébergeur, et les conséquences que ça porte.</p>
<p>On peut arriver à la même conclusion (ce troisième statut) par d'autres arguments, dont je n'ai pas besoin pour articuler mon raisonnement. J'ai regroupé ces arguments, pour au moins les citer, qu'ils ne donnent pas l'impression d'avoir été oubliés.</p>
<p>Tout ça est le fruit de beaucoup de discussions. L'idée de quelque chose entre éditeur et hébergeur est sortie de discussions ces 3-4 dernières années à la Quadrature. La façon dont j'articule entre eux ces différents éléments est le fruit de mon expérience personnelle, le mélange des réflexions de plusieurs collectifs.</p> <h4>Contexte historique</h4>
<p>On peut faire remonter la question, en France, à l'affaire <q>Estelle Hallyday contre Altern</q>. Ce n'est pas la première fois que la question se posait, mais c'est celle qui a marqué les esprits.</p>
<p>Altern était un hébergeur associatif, articulé avec une TPE (la TPE permettait au mec de manger, l'association hébergeait gratuitement). Près de 50.000 sites perso étaient hébergés chez Altern. On situe mal, mais 50.000 sites, à la fin des années 90, c'est un morceau colossal du web en France. Et toutes ces pages sont hébergées gratuitement, sans pub, sans contre-partie, par une association.</p>
<p>Des photos dénudées d'Estelle Hallyday avaient été publiées dans la presse. Un petit malin les a scannées et mises en ligne sur son site. La dame a porté plainte... contre l'hébergeur. À aucun moment la police ou la justice ne se sont intéressées à savoir qui était derrière le site, le nom de l'hébergeur leur suffisait bien. Il a été très lourdement condamné, une somme déraisonnable qui a forcé à fermer le volet associatif d'Altern : le risque était devenu trop grand. Une <a href="http://altern.org/alternb/defense/faq.html" hreflang="fr" title="FAQ sur le site d'Altern">FAQ de 1999</a> sur l'affaire redonne les éléments clefs de la discussion de l'époque.</p>
<p>C'est cette histoire qui a été utilisée pour expliquer aux députés et sénateurs de l'époque que nous avions un problème dans le numérique. On se trompait de responsable devant la justice dans les affaires de presse (diffamation, injure, atteinte à la vie privée, etc). Le législateur français a mis très longtemps à converger vers une solution acceptable. C'est autour de 2004 que le débat arrive à la bonne conclusion.</p>
<h4>Position définie par la LCEN</h4>
<p>La LCEN organise en 2004 la responsabilité entre trois types d'acteurs<sup>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2018/10/08/Intermediaires-techniques#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup>. Les fournisseurs d'accès et opérateurs réseaux, qui transportent l'information, les hébergeurs qui stockent l'information, et les éditeurs qui publient le contenu. Les éditeurs sont responsables de ce qui est publié, et assument les propos de l'auteur, en particulier dans les affaires dites de presse (diffamation, injure, publication d'informations portant atteinte à la vie privée des gens, etc). Les hébergeurs, quant à eux, ne sont pas responsables de ce qui est publié. Il devient obligatoire de faire figurer sur tout site web une indication de qui en est l'éditeur.</p>
<p>Le droit européen est articulé peu ou prou de la même manière. Les opérateurs du réseau doivent se comporter comme un <q>mere conduit</q>, c'est-à-dire comme un simple/pur tuyau. Ils transportent les données sans tenir compte du contenu, et donc ne peuvent être responsables de ce qui se passe sur le réseau. De mémoire cette première notion, bien plus ancienne que celle de la neutralité du net, se trouve dans des directives de 2000 sur le commerce électronique.</p>
<p>Dans le web de la fin des années 90, et jusqu'à la fin des années 2000, ces notions suffisent à lire le monde. Si je prends des exemples actuels que tout le monde peut comprendre, OVH est un hébergeur, l'éditeur du site https://lefigaro.fr est le journal du même nom, et FDN ou Orange, quand ils vous permettent d'accéder au contenu mis en ligne par ce site web ne sont pas responsables si un de ces contenus est illégal. Et ce, que cette illégalité soit un délit de presse ou un autre délit (par exemple, la publication sans autorisation d'un contenu soumis au droit d'auteur, une des variantes de ce que la loi nomme contrefaçon, même si le terme semble bien impropre<sup>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2018/10/08/Intermediaires-techniques#wiki-footnote-2" id="rev-wiki-footnote-2">2</a>]</sup>).</p>
<p>La jurisprudence est venue apporter des nuances, parfois intéressantes, parfois idiotes. Dans les jurisprudences intéressantes : en 2010 Tiscali, qui hébergeait les pages perso de ses abonnés, et aurait à ce titre dû être considéré comme hébergeur, s'est vu requalifier par la Cour de cassation en éditeur parce qu'elle ajoutait de la publicité dans ces pages. Le juge a estimé que modifier le contenu, avec des visées lucratives, en faisait un éditeur et pas un simple hébergeur.</p>
<p>Par ailleurs, la LCEN prévoit que quand l'hébergeur a connaissance d'un contenu illicite, il doit le retirer rapidement. Le Conseil Constitutionnel, qui avait été saisi de la LCEN, avait bien précisé que ça ne pouvait être applicable que pour les contenus manifestement illicites (ergo, dans la pensée de l'époque, les contenus manifestement pédo-pornographiques et/ou manifestement néo-nazis). Les jurisprudences diverses, en France et en Europe, sont venues affaiblir cette décision du Conseil Constitutionnel. On considère de nos jours que quasiment toutes les illégalités sont manifestes<sup>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2018/10/08/Intermediaires-techniques#wiki-footnote-3" id="rev-wiki-footnote-3">3</a>]</sup>.</p>
<h4>Évolution du paysage</h4>
<p>Le développement de ce que les startupeurs digitaux appellent le Web 2.0 vient un peu compliquer l'affaire, mais à peine. Le Web 2.0, c'est le fait qu'une plateforme est mise à disposition du public, et que c'est le public qui produit le contenu. Par exemple les commentaires organisés en forum de discussion sous un article d'actualité. Par exemple les forums de chat fournis par tel ou tel site web pour la communauté de ses habitués. Par exemple Facebook au tout début.</p>
<p>L'analyse reste sensiblement la même. L'utilisateur est auteur-éditeur du message qu'il publie, de la page qui regroupe ses messages. Et la plateforme est analysée comme un hébergeur, qui se contente d'afficher au lecteur les messages regroupés comme le lecteur le lui a demandé, c'est-à-dire dans l'ordre chronologique des publications de chacun des utilisateurs dont il suit le fil de publication. C'est assez assimilable dans la théorie, à ce que fait un agrégateur de flux RSS, pour les gens qui voient ce que c'est.</p>
<p>Mais la pratique change. Ces grandes plateformes interviennent de plus en plus dans le flux des informations. Elles hiérarchisent l'information, selon des critères qui n'appartiennent qu'à elles. Strictement, elles hébergent un contenu qu'elles n'ont pas produit, le plus souvent, mais choisissent l'ordre d'affichage, et même si un contenu sera affiché ou non pour un lecteur donné. Plus elles interviennent dans l'affichage des contenus, moins leur rôle d'hébergeur passif semble adapté.</p>
<h4>Responsabilité du fait d'autrui</h4>
<p>Le principe de droit sous-jacent à une bonne part du débat est le fait que nul ne peut être tenu responsable du fait d'autrui. Si j'écris sur mon mur Facebook des choses contraires à la loi, il est légitime que j'en sois tenu responsable, et qu'on n'aille pas en faire reproche à quelqu'un d'autre (genre Facebook, qui a permis la diffusion de mon message, mon FAI qui m'a permis de publier, ton FAI qui t'a permis de le lire, le fabriquant de ton écran qui a permis l'affichage, ton marchand de lunettes qui t'a permis de lire malgré ta myopie, etc).</p>
<p>Tenir Facebook pour responsable de ce qu'écrivent les gens, c'est pas bon. Mais prétendre que Facebook ne fait rien et donc n'est responsable de rien, c'est pas bon non plus, parce que ce n'est pas vrai. On voit bien que quelque chose cloche ici. Il nous manque une notion, qui décrive ce que fait Facebook. Quand nous travaillons sur ces sujets, à la Quadrature, le mot que nous utilisons, c'est <q>afficheur</q>. Facebook serait un afficheur, et en tant qu'afficheur il n'est pas neutre. C'est un intermédiaire technique qui n'est pas neutre dans l'exécution de son rôle, il doit donc logiquement assumer la responsabilité de ce qui découle de cette non-neutralité.</p>
<h4>La neutralité du net</h4>
<p>Les débats sur la neutralité du net sont pour moi, en dernière analyse, des débats sur un intermédiaire technique particulier, le fournisseur d'accès à Internet (et plus généralement, l'opérateur réseau).</p>
<p>Cet intermédiaire technique est tout-puissant. Il <em>peut</em> tout. Il peut m'empêcher d'accéder à un contenu, il peut ralentir l'accès à un service jusqu'à le rendre pénible à utiliser, il peut dégrader un service (perdre un paquet sur dix dans le flux d'une discussion audio la rend extrêmement pénible par exemple). Il peut surveiller à peu près la totalité de ce que je fais.</p>
<p>Du point de vue de l'abonné, il est tout-puissant, et incontournable : les gens n'ont qu'un seul accès à Internet chez eux, ils ne jonglent pas entre 5 abonnements à Internet à tout moment, utilisant l'abonnement Machin pour accéder à un site et l'abonnement Truc pour accéder à un autre. Les gens normaux (quelques geeks dans mon genre font autrement) ont un seul opérateur pour accéder à Internet et ils espèrent bien accéder à tout Internet, de manière indiscriminée.</p>
<p>Ce que disent les textes sur la neutralité du net peut se résumer assez facilement : en tant qu'intermédiaire technique incontournable, ayant de grands pouvoirs, l'opérateur n'a pas le droit d'utiliser ces grands pouvoirs n'importe comment. En particulier, s'il s'en sert pour (dé)favoriser un contenu, une adresse source, une adresse de destination, un type de service, etc, ça lui sera reproché. S'il sort d'une stricte neutralité d'intermédiaire technique sans raison valable, ça lui sera reproché.</p>
<p>Et les textes européens listent les raisons valables connues : la sécurité du réseau, le bon fonctionnement du réseau, une décision de justice, etc. Un accord commercial avec une plateforme n'est, ainsi, pas une raison valable de prioriser des flux.</p>
<p>Les textes sur la neutralité du net ne parlent pas de la responsabilité éditoriale, bien entendu, mais ils posent des principes de droit qui sont utiles : un intermédiaire technique, quand il sort de la neutralité qu'on attend de lui, prend une responsabilité, il devient responsable de ce qui arrive suite à cette sortie de route.</p>
<p>La transposition à la responsabilité éditoriale est cependant assez simple : quand une plateforme joue un rôle central dans la capacité du public à diffuser de l'information, ou à accéder à l'information, et qu'elle sort de la neutralité technique, alors elle devrait recevoir la responsabilité des effets de cette sortie. Que ce soient des effets économiques (concurrence, distorsion d'un marché, etc) ou des effets sociaux (montée des violences, montée des haines, etc). On ne peut pas jouer un rôle actif dans une position de puissance et dire qu'on n'est pas responsable des effets du rôle qu'on joue.</p>
<h4>Un opérateur dominant</h4>
<p>Une autre notion intéressante est celle, venue du droit de la concurrence, d'acteur dominant sur un marché. C'est une notion qui s'analyse de manière locale, sur un marché donné. Ainsi si on s'intéresse au marché européen, au marché français, ou au marché d'un bassin de vie, les acteurs dominants identifiés ne sont pas les mêmes.</p>
<p>Certaines pratiques sont interdites pour un ou des acteurs dominants sur un ou des marchés donnés.</p>
<p>Ainsi, un tarif d'éviction. C'est quand un acteur, dominant sur un marché, pratique des prix tellement bas qu'il empêche les autres de s'installer sur ce marché, et donc s'assure la perpétuité de sa position dominante. Ainsi, si autour de chez moi il y a une boulangerie qui a une part tellement forte du marché des croissants qu'on la considère comme un acteur dominant (genre 90% des ventes de croissants du coin). Quand une nouvelle boulangerie ouvre, elle fait une promotion intenable (le croissant à 10 centimes, mettons). On peut analyser ça comme la pratique d'un tarif d'éviction. Dans une boulangerie qui a une petite part de marché, ce serait simplement une promo pour attirer le client. Dans une boulangerie qui détient une part colossale du marché, c'est un tarif destiné à tuer les concurrents et assurer un monopole pour l'opérateur dominant sur le marché une fois que les concurrents auront coulé, auront été évincés (d'où le nom <q>tarif d'éviction</q>).</p>
<p>Il faut bien analyser ça sur le bon marché. En effet, la position dominante de la boulangerie ne joue pas sur le marché des fruits et légumes, ou ne joue pas sur le marché national des croissants. Elle fait bien 90% dans ma ville, mais un pourcentage infime au niveau national ou européen.</p>
<p>On peut essayer de transposer ces principes dans le cas qui nous intéresse. Les grandes plateformes sont des acteurs dominants sur certains <em>marchés</em>. Traditionnellement, on fait cette analyse sur un vrai marché, commercial. On peut par exemple se demander si Facebook et Google sont des acteurs dominants sur le marché de la publicité en ligne. Mais on peut utiliser cet outil pour penser des choses qui ne sont pas des marchés au sens commercial, et se demander si Facebook et Twitter jouent un rôle central dans la diffusion des contenus publiés par leurs utilisateurs, et si on peut donc leur reprocher les effets de leurs décisions en raison de leur taille. La même décision, de la part d'un acteur hyper minoritaire et n'ayant pas d'influence significative sur le <q>marché</q> (ou sur le phénomène social) considéré n'aurait pas la même responsabilité.</p>
<p>La taille est bien un critère pertinent pour juger de la responsabilité des acteurs. Non, un éléphant, ce n'est pas une souris en plus gros.</p>
<h4>La censure</h4>
<p>Facebook, ou Apple, opèrent une censure. Une censure a priori, où certains contenus sont censurés d'autorité, selon des procédures floues et discrétionnaires, le plus souvent sans appel et sans contradictoire. C'est un rôle actif, qui sort totalement de la notion d'intermédiaire technique neutre. Et qui est le fait d'acteurs dominants sur les <q>marchés</q> considérés.</p>
<p>On peut soit considérer que ces censeurs sont sortis de leur rôle neutre et technique, et que donc ils perdent l'exemption générale de responsabilité, qu'ils portent atteinte au principe de neutralité qu'on attend d'eux (même si, pour l'heure, aucun texte de loi ne prévoit ça de manière claire). Soit considérer, ce qui est sensiblement équivalent, qu'ils jouent un rôle actif dont ils sont responsables. N'ayant pas réussi à censurer les contenus illégaux, alors qu'ils jouent un rôle actif de censure a priori (Facebook censure les images dont ses outils supposent que ce sont des nus, avec régulièrement des erreurs) et de censure a posteriori (ces plateformes censurent sur signalement par les utilisateurs), on peut les considérer comme responsables de l'échec de leur censure.</p>
<p>Dans un cas, on estime que ces plateformes devraient se voir interdire la censure discrétionnaire, qu'il devrait y avoir des mécanismes transparents et conformes au droit pour traiter les problèmes. Par exemple du notice-and-notice : quelqu'un signale qu'un contenu pose problème. Le signalement est transmis anonymement à l'auteur. L'auteur peut retirer son contenu, ou décider de persister. Si les deux parties persistent à dire qu'il y a problème, le dossier complet est transmis à la justice qui arbitre le différend. Dans une posture comme celle-là, l'intermédiaire technique est de nouveau neutre. Il n'a pas décidé si le contenu lui semblait légal ou pas. On ne peut pas le tenir responsable d'une décision.</p>
<p>Dans l'autre cas, on estime normal que la plateforme joue un rôle de censeur, et qu'on peut lui tenir rigueur de ses erreurs dans la censure. Auquel cas tout contenu illégal qui arrive à franchir la barrière peut lui être reproché.</p>
<p>Je préfère bien entendu la première solution. Mais les deux sont logiques.</p>
<h4>Centralisation ou ouverture</h4>
<p>Le fait qu'une plateforme soit centralisée ou non est également un critère. L'exemple qui vient spontanément en tête est la comparaison entre les systèmes de messagerie fermés (iMessage d'Apple, Messenger de Facebook, les messages directs de Twitter, etc) et les systèmes de messagerie ouverts (par exemple le mail). Ou la comparaison entre un réseau de micro-blog fermé (Twitter) et un réseau de micro-blog ouvert (Mastodon).</p>
<p>Dans le cas d'un système centralisé et fermé, une décision de la plateforme centrale a un effet absolu. Si je suis banni de Twitter, je suis banni de l'intégralité du réseau de Twitter. Si cette décision est arbitraire, et fondée sur des critères qui ne peuvent pas être négociés, elle est absolue et incontournable. Elle est le fait d'un acteur dominant.</p>
<p>Dans le cas d'un système acentré et ouvert, une décision de la plateforme qui hébergeait mon compte de me bannir a un effet bien moindre. Je peux aller ouvrir un compte sur une autre instance du même réseau (quand mon compte mail de laposte.net est fermé, je peux aller ouvrir une adresse mail ailleurs). Si un nœud du réseau se met à détenir une part élevée des comptes, alors l'analyse en position dominante redevient pertinente : quand gmail.com ou outlook.com décident d'imposer des règles en matière de mail, même si le réseau est ouvert, ils représentent une part tellement grande du réseau du mail que leur norme s'impose de fait à tous les autres. Ils deviennent bien un acteur dominant de ce réseau.</p>
<h4>La définition des libertés</h4>
<p>À la fin du 18e siècle, quand on a défini les libertés fondamentales, on les a définies par rapport à la puissance publique. Quand on parle de liberté d'expression, on parle d'empêcher l'État (ou le roi) de censurer de manière arbitraire. Les libertés fondamentales, les droits de l'Homme, sont définis pour protéger les citoyens, les individus, contre les abus de la puissance publique.</p>
<p>Typiquement, le premier amendement de la constitution américaine, qui protège la liberté d'expression, interdit au législateur de faire une loi dont l'effet serait de priver le citoyen de la libre expression de son opinion. Facebook n'étant pas législateur, ça ne le concerne pas, il peut bien censurer comme il a envie et prendre toutes décisions visant à censurer.</p>
<p>Le rapport asymétrique qui existe aujourd'hui entre un particulier et une grande multi-nationale crée un rapport d'une nature similaire à celui qui existe entre le citoyen et l'État, un rapport asymétrique où une seule des deux parties peut établir les clauses du contrat. Le contrat qui existe entre Facebook et ses utilisateurs n'est pas de la même nature que le contrat qui existe entre deux particuliers. Les deux signataires du contrat ne sont pas dans un rapport de force symétrique. Or tout le droit autour de la liberté de contracter suppose une adhésion, soit que chaque clause était négociable (pour un contrat de gré à gré), soit qu'on pouvait ne pas adhérer au contrat et aller chercher un service similaire ailleurs (pour un contrat d'adhésion). Bref, on suppose que les deux parties sont engagées par un consentement mutuel entre pairs.</p>
<p>Il y a déjà de nombreuses zones du droit où l'asymétrie du rapport de forces a été prise en compte pour définir des droits qui ne sont pas symétriques. Par exemple l'obligation de conseil d'un pro : il ne doit pas vous laisser choisir une mauvaise solution s'il sait qu'elle est mauvaise, il doit vous conseiller au mieux de <em>vos</em> intérêts, pas des siens. Par exemple le contrat de prêt que vous signez avec le banquier : vous n'êtes pas en position de le négocier, alors la loi a très strictement encadré ce que le banquier a le droit de vous proposer. C'est toute cette partie du droit qui permet régulièrement aux tribunaux de dire que des clauses d'un contrat étaient abusives, et qu'on doit donc considérer qu'elles n'existent pas (les juristes parlent de <q>clauses réputées non-écrites</q>).</p>
<p>Il n'y a pas, pour le moment, de garantie des libertés dans un rapport contractuel asymétrique. Facebook, Twitter ou Google ne peuvent pas être condamnés pour censure abusive de mes propos. Seul l'État pourrait être condamné pour ça. C'est par exemple pour ça qu'il y a quelques années, avec quelques autres, nous avions rédigé une proposition de <a href="http://blog.fdn.fr/?post/2013/02/17/Loi-de-d%C3%A9fense-de-la-libert%C3%A9-d-expression" hreflang="fr">loi de défense de la liberté d'expression</a>. On retrouve un concept similaire dans la protection des données personnelles prévue par le RGPD : le rapport asymétrique entre l'entité qui collecte des données et le particulier dont on collecte les données crée une obligation particulière du collecteur pour protéger les libertés de l'individu.</p>
<h4>Laissé dans l'ombre</h4>
<p>Il y a d'autres angles de lecture que je laisse dans l'ombre ici, parce qu'ils ne sont pas utiles à mon raisonnement, bien qu'ils aillent clairement dans le même sens. Je veux citer ceux que j'ai en tête, pour qu'on ne pense pas qu'ils ont été oubliés. Ils demandent souvent une analyse assez longue, et qui ne me semblait pas rigoureusement nécessaire ici.</p>
<p>D'abord il y a l'inversion des rapports entre sujet et objet. Dans le contrat qui me lie à mon fournisseur d'accès à Internet (FDN, ou Orange), l'accès à Internet est l'objet du contrat, et le FAI et moi en sommes les sujets. Nous convenons entre nous comment l'un va à la demande de l'autre réaliser une prestation qui porte sur l'objet. Quand un service est financé par la publicité, ce rapport s'inverse. Le contrat, le vrai contrat, celui qui fait rentrer de l'argent, est entre le publicitaire et le service. C'est ce contrat qui compte. Et dans ce contrat, je suis devenu l'objet. Le publicitaire passe un contrat avec le prestataire du service qui porte sur la mise à disposition de l'objet du contrat, à savoir l'utilisateur. Dans ce modèle l'utilisateur est devenu l'objet d'un contrat auquel il n'a pas accès. C'est vicié, de base. Ça veut dire que l'utilisateur n'a rien à attendre du prestataire, qui n'est pas à son service.</p>
<p>Ensuite, il y a l'économie de l'attention. Ce qui intéresse ces grands afficheurs, c'est de pouvoir focaliser l'attention des gens. Donc de mettre en avant des émotions, et ce faisant de faire passer la raison en arrière plan (les publicitaires veulent ça, ça rend beaucoup plus perméable aux messages). Les messages qui font le plus directement appel à nos émotions sont donc favorisés, que ce soient des émotions douces (oh, le jouli petit chat...) ou des émotions dures (les propos haineux, la rage de voir encore une horreur de dite, etc). Le mécanisme de la publicité a besoin de faire appel à nos émotions, et cet état émotif nous fait rester plus longtemps face aux contenus, nous fait interagir plus. C'est ce qui donne sa valeur au contenu putaclic.</p>
<p>Ensuite, il y a la notion d'éthique de l'entreprise. Certaines entreprises ont une éthique, ça arrive. Mais cette éthique n'est que celle portée par le pacte d'actionnaires. Que les actionnaires changent et l'éthique change. L'entreprise lucrative n'est pas mauvaise en elle-même, mais les questions éthiques y ont forcément un rôle second. Parfois, sa survie dépend de l'éthique qu'elle affiche (Free, dans son jeune temps, avait besoin de se montrer cool avec les geeks pour exister, par exemple). Mais sitôt que ce n'est plus le cas, que l'éthique n'est plus une condition de la survie, alors les questions éthiques passent en second plan, ou disparaissent complètement.</p>
<h4>La somme</h4>
<p>La somme de tous ces éléments nous amène bien à analyser le rôle de ces plateformes, de ces intermédiaires techniques, avec tous ces éléments.</p>
<ul>
<li>L'action de leur propre chef, et non comme résultant d'un choix explicite et délibéré de l'utilisateur (hiérarchisation des contenus, censure discrétionnaire, etc) crée une forme de responsabilité.</li>
<li>Les visées lucratives jouent également un rôle : le but de la hiérarchisation est bien de maximiser le revenu publicitaire, pas de servir l'intérêt général ou les goûts du lecteur. Ce n'est pas la position neutre d'un intermédiaire technique au sens strict.</li>
<li>La centralisation du réseau considéré empêche de changer de <q>fournisseur</q>, en empêchant l'interconnexion et la normalisation, et donc crée de fait un monopole sur le marché considéré sitôt qu'il concerne un grand nombre d'utilisateurs. On peut par exemple considérer que Facebook occupe une position de monopole de la censure sur son réseau, et une position d'acteur dominant sur le marché de la publication des contenus, et monopolistique si on le rapporte au réseau Facebook, alors qu'aucune plateforme n'est en position monopolistique pour le réseau Mastodon/Fediverse.</li>
<li>Enfin, la taille joue, en plus de la centralisation. Un très gros acteur sur un réseau ouvert doit être considéré comme un acteur dominant. Un acteur centralisé, mais très petit, ne crée pas un dommage considérable à la société par son action, ou en tous cas pas un dommage aussi considérable que s'il était utilisé par une large part de la population.</li>
</ul>
<p>Ce sont tous ces éléments-là qui m'amènent à penser que <a href="https://www.laquadrature.net/fr/directive_auteur_calimaq" hreflang="fr" title="La directive Copyright n’est pas une défaite pour l’Internet Libre et Ouvert !">l'analyse de Calimaq</a> est relativement juste. Son propos reprenait cette distinction, ce nouveau rôle, sans l'avoir convenablement introduite, ça peut dérouter.</p>
<p>Il y a bien un modèle de réseau qui me semble plus souhaitable socialement et économiquement, le modèle de réseau ouvert, fait de nombreux acteurs, offrant une capacité d'interconnexion, etc. Il me semble raisonnable que les acteurs qui ont un rôle dominant, soit par leur centralisation soit par leur grande taille, se voient contraints à une grande neutralité pour nous protéger contre l'arbitraire.</p>
<p>Je suis en désaccord avec les choix de la directive copyright. Mon approche est que la position particulière de ces grands acteurs devrait leur interdire toute censure en dehors d'un processus contradictoire, tranché par une autorité indépendante, susceptible d'appel, et passant au moment voulu par la Justice. Mais l'approche qui consiste à dire qu'ils sont des professionnels de la censure et qu'ils ont donc des obligations de résultat de ce fait est toute aussi logique. Malsaine pour la société, parce qu'on a privatisé la censure. Mais logique.</p>
<p>Et le fait que cette directive fasse une différence entre ces grands acteurs dangereux et des acteurs plus souhaitables socialement, c'est également un point plutôt positif.</p>
<p>C'est bien parce que l'éléphant n'est pas la souris qu'on a inventé des législations pour se protéger des géants économiques : de l'anti-trust, de l'anti-monopole, de la régulation sectorielle (l'industrie pharmaceutique ne répond pas aux mêmes normes que les marchands de souvenirs, par exemple).</p>
<p>Ce dont je suis convaincu, c'est que l'irresponsabilité associée au statut d'hébergeur tel qu'il était défini historiquement doit être revisitée. Cette irresponsabilité était une conséquence logique du fait que cet intermédiaire technique n'avait pas d'action propre, autre que la réalisation du transport ou de l'hébergement des données. Et il est certain que les grandes plateformes ont une action propre.</p>
<p>Je ne suis pas certain des conclusions, des critères exacts qu'il faut utiliser pour délimiter ce nouveau rôle. Ce que je propose ici c'est une piste de définition de ces critères.</p>
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2018/10/08/Intermediaires-techniques#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] Le législateur étant ce qu'il est, ces noms n'apparaissent jamais. On parle toujours des personnes désignées au 1. du I de l'article 6 de la LCEN, ou désignées au 1 et 2 du I de l'article... Bref, des périphrases affreuses et incompréhensibles. Il faut bien justifier le salaire des juristes.</p>
<p>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2018/10/08/Intermediaires-techniques#rev-wiki-footnote-2" id="wiki-footnote-2">2</a>] En effet, si on veut s'en tenir au mot, une contrefaçon, un produit contrefait, c'est un produit qui prétend être (par exemple de telle grande marque) mais qui n'est pas. Par exemple les <q>fausses Rolex</q>, ou les <q>fausses Nikes</q>. Un fichier musical mis en ligne sans accord des ayants droits n'est pas véritablement contrefait. C'est vraiment le fichier musical que ça prétend, et pas une mauvaise reprise jouée par des amateurs dans leur cave. Dans un cas il y a tromperie sur la qualité de la marchandise, dans l'autre c'est bien le bon produit, mais il y a un défaut d'autorisation et/ou de rémunération. Reste que la loi amalgame les deux. Lutter contre la contrefaçon c'est autant lutter contre les faux médicaments, les imitations des grandes marques, que lutter contre le partage des œuvres entre particuliers sans accord des maisons d'édition.</p>
<p>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2018/10/08/Intermediaires-techniques#rev-wiki-footnote-3" id="wiki-footnote-3">3</a>] C'est un peu à l'opposé de l'idée qu'il existe une justice : si la décision de savoir si c'est conforme à la loi ou pas est toujours manifeste, et donc simple, à quoi peuvent bien servir les juges qui ont à en décider ? Par exemple, savoir si <q>Le Petit Prince</q> est encore couvert par le droit d'auteur ou non est une question fort complexe. Il se trouve que ça dépend du pays, pour de sombres histoires de durée du droit d'auteur après la mort de l'auteur (variable d'un pays à l'autre), et de savoir si les années de guerre sont comptées ou non dans cette durée (les années de guerre ne sont pas les mêmes d'un pays à l'autre). Bien malin l'hébergeur qui sait si l'extrait du Petit Prince qui est mis en ligne chez lui est <em>manifestement illégal</em>, ou pas.</p></div>
https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2018/10/08/Intermediaires-techniques#comment-formhttps://edgard.fdn.fr/blog/index.php?feed/atom/comments/28Vocabulaireurn:md5:69bfc87b3368d3acfae343ba44c4f3062017-03-03T10:27:00+01:002017-03-03T13:59:40+01:00Benjamin BayartPerso<p>Y'a des jours comme ça, il me manque un mot, pour séparer deux concepts. C'est très agaçant.</p> <p>Le nostalgie, quand tu te souviens de tous ces moments passés. Des moments doux d'avant ta rupture. Des moments drôles de quand tu étais jeune. C'est revigorant. Tu te souviens qu'il y a des jolies choses, ou du moins qu'il y en a eu. Le monde n'est peut-être pas si moche, dans le fond. C'est très légèrement maussade, le regret nostalgique de ce qui fut, mais très rassurant, très réconfortant. Ça a déjà été mieux, ça va revenir. C'est un moyen puissant de se réconforter, tout seul, quand le moral est bas.</p>
<p>Et puis la nostalgie, quand tu te souviens des moments passés avec <a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2017/02/26/Raclures">les amis perdus</a>. Et où tu te dis que tout était donc faux. Que cette douceur, c'était ton imagination. Que le monde est donc bien aussi vain qu'il en a l'air. C'est douloureux. Tu reprends conscience que tout ce qui te faisait du bien, c'était une illusion. Ces souvenirs que tu croyais doux, c'était du vent. Rien, nulle part, n'a aucun sens. Alors que tu cherchais du réconfort, tu viens de trouver des raisons de déprimer un peu plus.</p>
<p>C'est dommage de ne pas avoir deux mots. Je manque de vocabulaire.</p>https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2017/03/03/Nostalgie#comment-formhttps://edgard.fdn.fr/blog/index.php?feed/atom/comments/27Racluresurn:md5:461b475b24aaeddc2af60d91857298dd2017-03-02T22:20:00+01:002017-03-04T10:52:42+01:00Benjamin BayartPerso<p>Le récit que je viens vous faire ici est un récit ancien. C'est un peu exprès. Ce n'est pas la peine de venir me plaindre dans les commentaires, ou de me faire part de votre compassion : un an après, ce n'est plus utile.</p>
<p>Ce texte est très détaché. Il est trompeur. Comme souvent chez moi. Il atténue mes impressions. J'exprime les choses avec une certaine distance. Je fais toujours comme ça. Je laisse donc le soin au lecteur qui voudrait se faire une impression plus exacte, de corriger ma tendance à l'euphémisme, ma tendance à utiliser des mots mesurés et calmes pour décrire des choses qui ne le sont pas.</p> <h4>Notice</h4>
<p>Je sais que ce texte peut être mal pris. J'ai déjà certaines des critiques dans l'oreille.</p>
<p><q>Il est encore en train de nous crier dessus.</q> Non, vraiment pas. C'est bien pour ça que je n'ai rien publié sur ce sujet depuis des mois, pas directement au moins. Mais il me semble nécessaire de dire pourquoi l'AG de l'an dernier me laisse autant de colère, il me semble nécessaire de laisser aux participants involontaires une chance de comprendre ce qui s'est passé.</p>
<p><q>Ça va être pareil encore cette année.</q> Je ne crois pas. Ayant fait le travail pour comprendre, ayant été jusqu'à vous l'expliquer, il n'y a aucune chance que ça se reproduise. Pas de mon côté du moins. Que d'autres craquent, dans un environnement associatif c'est toujours un risque. On saura peut-être le gérer un peu moins mal.</p>
<p>Je me suis longuement demandé, depuis un mois, s'il fallait retarder la publication de ce texte, attendre que la prochaine AG soit terminée. Et au final, il me semble que non. Il me semble que ceux qui étaient là, et qui n'ont rien compris à ce qui s'est passé, seront moins frileux dans leur engagement associatif après quelques explications. En tous cas ils méritent ces explications.</p>
<p>Il est aussi possible que ce récit finisse de me fâcher avec certains. Tant pis. Ce serait triste. Mais j'en ai assez de toujours me taire pour ne fâcher personne.</p>
<h4>Il était une fois...</h4>
<p>L'assemblée générale de la Fédération FDN, mai 2016, pas loin de Grenoble. C'est un événement chouette, plutôt festif, tout un groupe, amical, qui se retrouve façon <q>colonies de vacances pour geek</q>. Si on avait été en forêt, il y aurait eu un feu de bois, et sans doute quelqu'un aurait sorti une guitare, voyez. On aurait chanté <q>le Gorille</q> de Brassens, ou peut-être même du Cabrel, qui sait.</p>
<h4>Ah, les jolies colonies de vacances !</h4>
<p>Mais voilà, je n'allais pas bien. Pour plein de raisons, j'étais en mauvais état, déprimé, angoissé. Rien qui soit en lien de manière directe avec les buts associatifs de nos rencontres. Et puis... Et puis il se trouve que j'aime pas les colonies de vacances...</p>
<p>Pardon, c'est un euphémisme. Je vous reformule ça. C'est le seul que je vais reformuler. Il faut bien tout de même que je vous laisse des indices, que j'essaye de rendre explicite. Et puis que vous compreniez que j'ai souvent une façon très douce de dire les choses, d'utiliser des mots précis et posés, même quand j'encaisse de manière brutale. Donc, j'aime pas les colonies de vacances...</p>
<p>J'ai une horreur absolue de tout ce qui peut ressembler de près ou de loin à des colonies de vacances. Je ne sais pas bien quel traumatisme ça réveille chez moi, mais j'en ai horreur, et c'est quelque chose de puissant.</p>
<p>J'ai des tas de petits automatismes, assez simples, pour m'en protéger, pour atténuer le malaise et faire en sorte que ça puisse se passer assez gentiment. Je reste à l'écart, je vais me planquer dans un coin calme pour lire, je fuis souvent le groupe pour me réfugier en cuisine<sup>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2017/02/26/Raclures#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup>. Pour tout un tas de raisons, ces mécanismes ont été mis en échec, mis en défaut.</p>
<h4>Mise en échec</h4>
<p>Je vous raconte un exemple. Dîner, le premier soir. L'estomac noué je suis assis à plusieurs mètres des dîneurs, c'est le maximum de sociabilisation dont je suis capable, pas dans le groupe, mais pas ailleurs. Je tremble sans doute un peu, ça ne se voit pas, j'essaye de faire ressortir du flegme au lieu de laisser passer du stress, presque somnoler, pour garder la tension sous contrôle. À la fin du repas, façon Gentil Organisateur du club med' quelqu'un lance un tour de parole où tout le monde dit qui il est, ce qu'il est venu faire, etc. C'est beaucoup trop pour moi, je me lève, je vais en cuisine, faire la vaisselle. Parce que, c'est cool faire la vaisselle, une activité sympa, sans le groupe. Et puis, un qui se croit plus gentil que les autres, rapportant les reliefs du repas en cuisine, me dit que je devrais venir me présenter comme tout le monde, parce que le tour de parole se termine. Je rechigne. Je grogne. Mais on me pousse. Alors je viens. Je dis trois mots, un peu agressifs, genre <q>Benjamin, vieux con des Internets<sup>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2017/02/26/Raclures#wiki-footnote-2" id="rev-wiki-footnote-2">2</a>]</sup>. Faut vraiment que je me présente ?</q>. Et puis je repars, tout de suite.</p>
<p>Le même récit, d'un œil extérieur<sup>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2017/02/26/Raclures#wiki-footnote-3" id="rev-wiki-footnote-3">3</a>]</sup>. Benjamin, gourou-star du groupe, ne se mêle pas à la plèbe, il ne va tout de même pas dîner avec la piétaille, il regarde le troupeau manger de l’œil du berger circonspect. Quand commence une activité sociale sympa, par mépris du groupe sans doute, il s'en va. Il ne va pas perdre son temps à écouter parler les cons. Quand il revient, à la fin, n'ayant écouté personne, pour se présenter en quelques mots, c'est arrogant, méprisant, et d'ailleurs il ne reste pas.</p>
<p><strong>Si tu étais à cette AG, tu as vu la deuxième scène. Moi, j'ai vécu la première. On ne risquait pas de se comprendre.</strong></p>
<p>Ça, c'est un mécanisme de protection. L'activité de groupe en cours me fait peur, me met mal à l'aise. Alors je m'éloigne du groupe, je m'en isole. Et quelqu'un, qui n'était animé d'aucune mauvaise intention, est venu me chercher pour me replonger dans l'activité de groupe que je voulais fuir. Il a mis en échec un outil qui me sert à me protéger. Pendant les quelques semaines qui précédaient cette AG, et tout particulièrement les jours précédents, tout avait été comme ça. Tous ces petits automatismes qui me protègent avaient été mis en échec. Mais rien que par des gens gentils, hein. Qui ne m'écoutent pas quand je dis que je ne veux pas, mais qui avec beaucoup de gentillesse vont me tordre gentiment le bras pour m'amener à une situation dont je n'ai pas envie, et dont je suis incapable d'expliquer pourquoi je n'en ai pas envie.</p>
<h4>Péter les plombs</h4>
<p>Le même soir, quelques heures après, je craque. Je suis face à un groupe, privé de mes éléments de défense habituels. Tu vois le cauchemar où, enfant, tu arrives en classe, nu ? Ça pourrait ressembler à ça, mais en pire. Au lieu d'une discussion que j'aurais voulu calme et posée, je m'emporte. Sans aucune raison valable, à part que je suis hyper tendu.</p>
<p>Je me sens proie, face à une meute, sans aucune porte de sortie, sans aucune position de repli, sans aucune protection. Les gens qui sont là n'y sont pour rien, ils n'ont rien <em>fait</em>. Ils sont là, je suis sans défense, et ça réveille des vieilles paniques chez moi. Si sur le moment j'avais dû expliquer, je n'aurais pas pu. Ils ne comprennent pas, mais je leur crie dessus, sans raison.</p>
<p>Et à la fin j'explose, je leur dis de tous aller se faire mettre, et je me tire.</p>
<p>Si tu étais là, tu m'as vu hurler sur des gens qui n'ont rien fait, sans raison. Moi, j'ai paniqué face au réveil de vieux démons. <strong>Nous ne pouvions pas nous comprendre.</strong></p>
<h4>Et c'est après ce long préambule qu'on peut discuter</h4>
<p>Ces 4 jours, je les ai vécus comme séquestré, dans un lieu pour moi hostile, entouré d'un groupe que je savais gentil, mais que je sentais comme hostile, qui me faisait peur, qui réveillait chez moi des choses que je ne sais pas bien expliquer, mais qui relèvent de la panique. Et je ne pouvais pas partir. Aucun moyen de partir pour de vrai, et de toute façon il fallait que je sois là pour l'AG formelle. Bref, séquestré.</p>
<p>Un bénévole qui craque, dans le milieu associatif, on en croise. Pas tous les jours, mais souvent. Ça peut donner des cris, ça peut donner une crise de larmes, ça peut donner un peu n'importe quoi. En général, il y a un(e) proche qui va réconforter, tenir par les épaules, apaiser, et puis quand celui ou celle qui a craqué revient, il y a plein de regards assez doux, inquiets, espérant que ça va mieux sans oser demander. Qui disent du bout des yeux <q>Je n'ose pas venir te consoler, mais j'espère que ça va aller mieux pour toi</q>.</p>
<p>Moi, je n'ai pas eu droit à ça. Enfin si, la première partie. Quand tout le groupe en était à se dire que le gourou-star venait de les insulter, mais que personne ne s'est soucié de pourquoi ou de comment j'allais, elle s'est levée, et elle est venue. Tout de suite. Parce que c'était évident pour elle qu'il y avait un souci. Elle s'est levée et elle a fait les quelques mètres pour s'asseoir à côté de moi qui tremblais comme une feuille<sup>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2017/02/26/Raclures#wiki-footnote-4" id="rev-wiki-footnote-4">4</a>]</sup>. Merci Oriane.</p>
<p>J'ai eu droit, pendant les 3 jours qui restaient, à des surprises. Mauvaises.</p>
<h4>Les réactions</h4>
<p>Il y a les gens qui me reprochaient d'avoir craqué. C'est quand même la grande classe, je trouve. Tu vois un mec qui va pas bien, qui explose en vol, et... Et tu vas lui faire des reproches. Change rien.</p>
<p>Il y a des gens qui n'ont simplement rien vu, ou qui ont soigneusement regardé ailleurs. C'était la partie la plus agréable pour moi, ça. Voir que les activités normales avaient lieu, que ça geekait paisiblement, que des choses utiles se produisaient de manière normale, prouvant bien que je ne suis en rien indispensable à tout ce machin. La réunion du groupe de travail des trésoriers le vendredi matin était par exemple un pur moment de calme et de bonheur.</p>
<p>Il y a les gens qui venaient discuter, de problèmes de fédération, de questions de droit des télécoms. C'était bien le sujet des 4 jours, ils ont bon. Jamais la discussion n'a commencé par <q>J'espère que ça va</q>. Aucun n'a eu l'idée de me demander si j'étais en état. Aucun n'a eu l'idée de me proposer de l'aide. Toujours la même méthode, la même approche. <q>Ah Benjamin! Tu ne sembles pas occupé, tout seul dans ton coin. Ça tombe bien je voulais te parler de...</q>. Oriane, qui a passé le plus clair de ces 3 jours à essayer de m'aider, y assistait, le plus souvent. On en discutait, elle et moi, une fois l'importun parti. Elle m'expliquait que quand même, normalement, on prend soin d'un bénévole qui craque. Mais voilà. On constatait que tous ces gens, vieux routiers du monde militant et associatif, ils ne faisaient pas ce qu'on fait en temps normal. Parce que, moi, je ne suis pas un bénévole. Moi, je suis le Président. Je ne suis plus une personne, je suis un utilitaire. Si je craque, alors que j'aurais dû parler de régulation du marché des fourreaux télécoms, ou d'organisation des groupes de travail, je suis en faute.</p>
<p>Il y avait des amis, dans tout ce beau monde. Sur les 80 personnes qui étaient là, il y en a plus d'une vingtaine qui étaient des amis, supposément proches. Aucun. Aucun n'est venu s'inquiéter de mon état. Je force un peu, mais à peine, le trait. Certains sont venus dire des choses, sans brutalité. Prenant mon emportement du premier soir au premier degré par exemple, me disant que le propos de ce soir là pouvait se tenir calmement. Beh oui, il pouvait, mais j'ai craqué quoi... Ou venant me parler de la pluie et du beau temps, des paysages alentours, peut-être une façon toute en pudeur de vouloir me changer les idées. Ou prenant ma défense en AG, quand les autres se montraient anormalement violents. Mais il n'est venu à l'idée de personne de venir s'informer de mon état, ou de me réconforter. Aucun n'est venu poser la moindre question sur comment j'allais.</p>
<p>Je ne sais pas trop comment appeler ceux qui se sont adressé à moi pendant ces jours-là comme on s'adresse à une chose, sans aucun souci de la personne qui est derrière la fonction. Dans ma tête, c'est une espèce de conséquence du côté gourou, ils sont une espèce de variante du fanboy. Ils me voient sans humanité. Ceux qui étaient des amis sont maintenant rangés beaucoup plus bas dans mon estime. Je ne leur en veux pas. Il n'y a pas de méchanceté chez eux. Mais je n'attends pas d'humanité de leur part, parce qu'ils ne cherchent pas à en voir chez moi. J'avais tort de les croire mes amis. Ils avaient tort de se prétendre tels. Ce malentendu étant dissipé, on peut reprendre une activité normale.</p>
<p>Et puis y'a les autres. Ceux que la situation a préoccupé. Pas mon état, non, ça, ça leur convenait visiblement assez bien. Ce qui leur faisait peur, à ces si chers amis préoccupés, c'était de savoir si j'allais continuer à être Président<sup>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2017/02/26/Raclures#wiki-footnote-5" id="rev-wiki-footnote-5">5</a>]</sup>, ou s'il faudrait que quelqu'un se dévoue pour reprendre le boulot à ma place. Ils semblent avoir passé des heures à en discuter, à se réunir. Et pas un n'est venu me voir... Ah si. Un. Pour m'engueuler. Me reprocher d'avoir craqué. Exiger des excuses. Et me demander si je comptais quand même me présenter à la présidence<sup>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2017/02/26/Raclures#wiki-footnote-6" id="rev-wiki-footnote-6">6</a>]</sup>. Il a semblé surpris que je le prenne mal. Et il a semblé surpris que je refuse de m'excuser.</p>
<p>Je peux comprendre cette incompréhension. Il m'a vu hurler sans raison sur des gens qui ne m'ont rien fait. Il s'attend à ce que je m'excuse. C'est légitime. Moi j'ai vu mes amis, y compris les plus proches, m'abandonner alors que j'allais très mal, fracassé. J'ai vu mes amis qui avaient comme seul souci urgent de trouver le meilleur moyen de ne pas avoir à sortir les mains de leurs poches, et qui avaient très peur que je refuse de continuer à travailler, tétanisés à l'idée de devoir assumer la responsabilité. Je comprends qu'ils veuillent des excuses. Moi, le mot qui me vient quand j'y repense, c'est qu'ils se sont comportés comme des raclures<sup>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2017/02/26/Raclures#wiki-footnote-7" id="rev-wiki-footnote-7">7</a>]</sup>.</p>
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2017/02/26/Raclures#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] Je faisais déjà ça, quand j'allais en colonie quand j'étais môme, je filais me réfugier en cuisine bavarder avec le cuistot, ou à la lingerie, ou en fait dans toutes ces parties du lieu où le groupe ne va pas, pour passer un peu de temps calme.</p>
<p>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2017/02/26/Raclures#rev-wiki-footnote-2" id="wiki-footnote-2">2</a>] C'est le texte de ma bio touitteur. C'est tout ce qui me vient sur le moment. J'ai la tête vide, et j'ai pas envie.</p>
<p>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2017/02/26/Raclures#rev-wiki-footnote-3" id="wiki-footnote-3">3</a>] Je n'invente pas, hein. C'est presque mot à mot le récit qu'un ami m'a fait du même épisode.</p>
<p>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2017/02/26/Raclures#rev-wiki-footnote-4" id="wiki-footnote-4">4</a>] Les hasards de la vie... Pendant que je ruminais ce texte, Oriane a eu l'occasion de me ramasser, en larmes, après une cuite comme rarement. Et du coup, elle a fait un récit de ces deux fois où elle est venue ramasser du Benjamin en mauvais état. On ne s'est pas concertés, pour écrire. Je sais, vous ne le croirez pas. <a href="http://yagg.hauteresolution.net/2017/03/est-ce-que-mon-courage-suffira/" hreflang="fr" title="Est-ce que mon courage suffira ?">Son récit est là</a>. Je vous invite à la lire, il donne un bon contre-point à ce texte.</p>
<p>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2017/02/26/Raclures#rev-wiki-footnote-5" id="wiki-footnote-5">5</a>] J'ai eu une explication <q>officielle</q> sur ce sujet. Leur interprétation était que j'avais craqué, consciemment ou non, parce que je ne voulais plus du poste, et qu'il fallait donc pour mon bien, me remplacer, sans me demander mon avis. Ça ne pouvait être qu'un problème lié à la fonction, certainement pas une question humaine. Et il ne leur a pas traversé l'esprit de venir m'en parler. C'est bien pratique comme posture, ça permet de décider dans mon dos, sans mon avis, mais en se donnant bonne conscience.</p>
<p>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2017/02/26/Raclures#rev-wiki-footnote-6" id="wiki-footnote-6">6</a>] Oui, la question s'était posée. C'est que quand on est déprimé ce genre de question se pose. J'en avais parlé avec lui. Et la décision avait été tranchée plusieurs mois avant. Oui, j'allais continuer. Il semblait surpris que je n'ai pas changé d'avis.</p>
<p>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2017/02/26/Raclures#rev-wiki-footnote-7" id="wiki-footnote-7">7</a>] D'après le dictionnaire. Raclure : Injure grossière que l'on adresse à une personne considérée comme méprisable.</p></div>
https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2017/02/26/Raclures#comment-formhttps://edgard.fdn.fr/blog/index.php?feed/atom/comments/26Amilitantsurn:md5:11ca3eabcb9c7daa9cc9aee161ea928d2016-12-29T09:50:00+01:002017-01-03T16:40:35+01:00Benjamin BayartCafé du commerce<p>J'avais envie d'écrire ce texte, pour expliquer à mes amis militants un point qui parfois me déplaît, dans leur mode de fonctionnement. Comment souvent, sous couvert de m'expliquer pourquoi ce qu'ils font est bien, ils changent délicatement d'angle et en viennent à m'expliquer que ce que je fais est mal. Ils passent alors d'une posture militante intéressante, progressiste, ouverte à une posture moralisatrice, pleine de reproches, et souvent hostile.</p> <h3>Toute ma vie d'adulte</h3>
<p>Je suis présent et actif dans diverses structures associatives, sur beaucoup de sujets, depuis 1994, en gros. Soit un peu plus de 20 ans. Certains engagements sont assez marqués, comportent un volet politique<sup>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/11/03/Amilitants#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup>, d'autres le sont beaucoup moins (comme membre du TeX Users Group pendant des années, les implications politiques étaient faibles).</p>
<p>Mais tout ça fait que, toute ma vie adulte a été passée en croisant des militants, beaucoup de militants, de beaucoup d'obédiences différentes.</p>
<p>Bien entendu, maintenant, dans la communauté geeks/hackers, j'ai acquis une position un peu particulière. Mais la position du personnage public est assez facile à tenir. Il y a quelques dossiers dont je suis spécialiste, qui sont les sujets dont on me parle tout le temps. Et tant que j'évite de parler d'autres sujets en public, je suis assez transparent, j'existe peu. Tout va bien.</p>
<p>C'est quand je m'éloigne de cette position, de ce rôle public, que les difficultés apparaissent.</p>
<h3>La pureté</h3>
<p>Si tu veux fréquenter un milieu un peu militant dans un domaine, tu dois être exemplaire, ou tu seras moqué. Au mieux. Et au pire, tu auras des remarques agressives et hostiles. Et ce phénomène va en s'aggravant avec touitteur, les remarques agressives devant être courtes, elles sont cinglantes, et les insultes viennent vite.</p>
<p>Ça marche dans tous les domaines que j'ai croisés. Sur la centralisation des réseaux, il est défendu d'avoir une page Facebook ou un compte Touitteur. Même moi, qui suis considéré comme une des personnes importantes sur ce sujet-là, je dois m'expliquer sur le fait que j'ai un compte touitteur et que je m'en sers. Et on me demande régulièrement pourquoi je n'ai pas grondé telle personne qui utilise Facebook<sup>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/11/03/Amilitants#wiki-footnote-2" id="rev-wiki-footnote-2">2</a>]</sup>.</p>
<p>Chez les libristes, si tu utilises une solution propriétaire, tu seras moqué, toujours, et souvent de manière assez agressive. Oh, tu ne sortiras pas avec des bleus, mais tu devras passer ton temps à t'excuser de ton ordinateur, de ta config, de tes usages, de tes pratiques. Une bonne raison pour considérer tout ce petit monde comme désagréable et aller voir ailleurs.</p>
<p>Chez les vegans, si tu as craqué pour un bout de saucisson à un apéro, ou pour une assiette de sushis, autant que ça ne se sache pas, sans quoi tu seras vertement critiqué par tes pairs, même si tu es un des militants les plus utiles et les plus actifs sur le sujet. C'est parfaitement ridicule.</p>
<p>Tout ça m'a toujours semblé dans le fond assez malsain. Comme militants, nous avons un objectif commun, des idées communes sur des choses souhaitables et des choses considérées comme nocives. Mais je fais une différence énorme entre les idées communes, et le fait de juger chacun, individuellement, sur chaque pratique qu'il peut avoir.</p>
<p>La course à la pureté, c'est chercher à imposer des dogmes rigides, qui mettent en place une surveillance millimétrée de soi-même selon une discipline ascétique semi-choisie, semi-imposée. Ca me rappelle ces confesseurs qui veulent que tu racontes ta moindre pensée déviante, que tu te repentes de tes pensées impures, des péchés que tu as imaginés, de ceux dont tu as rêvé la nuit, et que tu te flagelles pour tout ça.</p>
<p>C'est très chrétien comme approche, finalement.</p>
<h3>La convergence</h3>
<p>L’idée de "convergence des luttes"<sup>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/11/03/Amilitants#wiki-footnote-3" id="rev-wiki-footnote-3">3</a>]</sup>, dans le fond, c'est plutôt une bonne idée. On peut être d'avis que la lutte contre le sexisme est une bonne chose, que le logiciel libre est une bonne réponse à plein de questions, et que la production d'énergies décarbonnées est souhaitable. Envisager ça comme trois sujets politiques totalement isolés est assez triste. Essayer de les envisager tous ensemble permet d'essayer un angle de vue assez large, permet d'essayer de définir les contours d'un projet de société utopique.</p>
<p>C'est plutôt intelligent de chercher les points communs, de chercher comment tous ces sujets de lutte sont compatibles entre eux, à quels endroits ils ne le sont pas, et comment on fait pour résoudre des incompatibilités qu'on trouve.</p>
<p>C'est intéressant aussi parce que ça permet d'apprendre. Un outil, une méthode, un angle d'analyse, s'est montré utile et efficace sur telle lutte. Il peut probablement être utilisé et adapté sur un autre sujet. On appelle ça la dualité en mathématique, le fait de pouvoir appliquer un même raisonnement, et donc tirer les mêmes conséquences, dans deux domaines distincts, pour peu que les deux domaines présentent une similarité de forme, et une méthode de transposition de l'un à l'autre.</p>
<p>Mais c'est le plus souvent utilisé dans l'autre sens. Si tu n'as pas entièrement déconstruit ton héritage culturel venu de l'hétéro-patriarcat dominant, tu te tais sur le féminisme. Si tu n'as pas remplacé le boot-loader de ton ordinateur par un truc libre, tu te tais sur l'informatique. Si tu manges encore du fromage de temps en temps, ou si tu as un manteau en cuir, tu te tais sur la souffrance animale. Alors dans un milieu qui se veut regrouper 3, 4, 12 sujets militants, très vite, en fait, tu es pur et absolu sur tous les sujets, ou tu te tais. Autant dire que la majorité des gens sont invités à se taire. Et idéalement, en plus de te taire, tu culpabilises.</p>
<p>Au lieu d'essayer de diffuser plus largement des idées, et de chercher à améliorer le monde, on se retrouve en nombre de plus en plus petit, les plus purs possibles sur le plus de sujets possibles. On a créé une espèce de secte intolérante, où le moindre petit écart à la norme établie sera mal jugé. Oh, tu ne seras pas expulsé pour avoir utilisé Skype, mais tu devras expier ta faute. Présenter ton auto-critique, battre ta coulpe en public, et démontrer qu'on t'a forcé.</p>
<h3>La bienveillance</h3>
<p>Et puis y'a la bienveillance... C'est compliqué la bienveillance. Là aussi, ça part d'une idée assez chouette : si au lieu de se battre entre nous, on essaye de se soutenir, le groupe est plus fort. Si on essaye de recevoir l'autre avec un esprit ouvert, si on l'accepte comme il est, alors chacun sera plus fort, et le groupe sera plus solide.</p>
<p>Mais curieusement, ça ne prend pas cette forme-là, le plus souvent. Parce que la lutte pour la pureté, tout de même, c'est important. Il faudra en parler du fait que tu dis XXX<sup>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/11/03/Amilitants#wiki-footnote-4" id="rev-wiki-footnote-4">4</a>]</sup>, et que donc tu es un ignoble soutiens du Système, traître à la Cause.</p>
<p>La seule forme de bienveillance que j'ai croisée dans les groupes militants est une forme simple, qui ne mange pas de pain. Tu as pris des coups, ailleurs que dans le groupe (au boulot, dans le métro, etc), ceux qui t'aiment bien dans le groupe seront là pour te soutenir. Si en plus les coups que tu as pris sont en lien avec le sujet de militance, tu auras un soutien collectif. Mais accepter qui tu es, et ce que tu apportes, avec ta différence, avec ton non-alignement, non, ça, c'est pas prévu.</p>
<p>En revanche, chercher à se pousser du col, à gagner en popularité dans le groupe, quitte à marcher sur la tête des autres, les coups en vache pour te décrédibiliser auprès des autres, pour te faire passer pour affreux par la rumeur, ça, c'est courant.</p>
<p>L'autre chose qu'on peut croiser, c'est le fait de te plaindre, et de vouloir t'aider à t'en sortir. Ce n'est pas de la bienveillance, c'est du moralisme. Tu te comportes mal, et on va t'aider à devenir normal. Tu parles aux gens par irc, alors on va te pousser à leur parler en vrai, sans ordinateur. Ca se veut bienveillant. Le groupe croit vraiment... Non, le groupe <em>sait</em> que c'est mieux de parler aux gens en vrai plutôt que via un ordinateur, et c'est <em>pour ton bien</em> qu'ils veulent te sortir de ton fonctionnement nocif pour t'amener à leur fonctionnement bienfaisant. Pareillement, tu discutes avec tes amis par Skype, on va t'aider à sortir de la drogue en te faisant utiliser XMPP et/ou Irc avec OTR, pour qu'enfin tu voies la lumière.</p>
<p>Ça, c'est une approche moraliste. Ils se pensent supérieurs à toi, et ils veulent t'amener vers la lumière parce qu'ils Savent où est la lumière, et que tu es encore ignorant et dans l'ombre.</p>
<h3>L'intégrisme</h3>
<p>Pour moi, tout ça relève d'un seul et même problème. Une forme d'intégrisme révolutionnaire. Je n'aime pas ça quand c'est pratiqué par les religions pour imposer une morale aux gens. Je n'aime pas ça non plus quand c'est imposé par un groupe militant pour faire la même chose.</p>
<p>Les gens qui aident, et luttent avec nous, pour défendre la neutralité des réseaux, quand ils ne sont pas abonnés de la Fédération FDN, je ne me moque pas d'eux, je ne les critique pas. La moitié des adhérents de FDN ne sont abonnés à aucun service, ils ne sont pas moins adhérents, pas moins bienvenus, pas moins valables. Ils sont là par conviction uniquement, pas comme consommateurs des services de l'association, donc parfaitement valables.</p>
<p>J'essaye d'éviter ces postures moralisatrices. La nuance est parfois faible, mais j'essaye de rester sur côté de <q>Voilà pourquoi moi je fais comme ça</q> et de ne pas aller vers <q>Tu es en faute de ne pas faire comme moi</q>.</p>
<p>Mais... Mais voyons... Ce que je viens de faire dans ce texte, c'est tout de même assez précisément ce que je reproche aux autres, non ?</p>
<h3>Post-scriptum</h3>
<p>On m'a signalé, juste après la mise en ligne de ce texte, un article fort intéressant <a href="http://www.nytimes.com/2008/01/13/magazine/13Psychology-t.html" hreflang="en" title="The moral instinct">sur le site du New York Times</a>. J'en retiens, entre autres, que la recherche de la pureté est un des éléments constants dans le <q>sens moral</q> de beaucoup de cultures (peut-être toutes). La question serait alors de savoir comment on maîtrise cet instinct, ou comment on lui donne libre cours.</p>
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/11/03/Amilitants#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] Qu'on soit clairs, politique au sens où je me mêle de comment fonctionne la société, de comment je voudrais qu'elle fonctionne mieux. Il est bien rare que je prenne une position politique au sens de souhaiter l'élection d'un individu plutôt qu'un autre, et encore moins d'un parti.</p>
<p>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/11/03/Amilitants#rev-wiki-footnote-2" id="wiki-footnote-2">2</a>] C'est pourtant d'une simplicité incroyable. Je sais expliquer pourquoi, moi, je n'ai pas de compte Facebook, pourquoi je ne m'en sers pas, et pourquoi ce truc c'est pas bien. Mais tous les autres gens ne sont pas moi. Ce qui m'intéresse, c'est que ces autres gens comprennent ce que je viens leur expliquer. Je ne veux pas qu'ils changent toutes leurs pratiques du jour au lendemain en se coupant de leurs proches. Je veux qu'ils aient un peu plus conscience de ce qui se passe, des enjeux. Après quoi, ils font les choix qu'ils veulent, comme ils veulent, comme c'est mieux pour eux, et ils ne sont pas coupables à mes yeux, je n'ai pas à les culpabiliser ou les moquer ou les plaindre. J'ai expliqué ce que j'avais à expliquer. Si j'ai été bon dans mon explication, ils ont compris. Ça me suffit.</p>
<p>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/11/03/Amilitants#rev-wiki-footnote-3" id="wiki-footnote-3">3</a>] Dans le texte original, j'avais utilisé le terme de <q>intersectionnalité</q>. On m'a fait très justement remarquer que c'est un terme qui vient au départ des luttes contre les oppressions (sexisme, racisme, etc) et qui permet de décrire la situation d'une femme racisée comme différente de la somme du racisme et du sexisme, mais comme étant une combinaison plus complexe. Le terme tant de plus en plus, dans les milieux militants à être utilisé avec un sens plus faible, qui est celui que j'avais repris ici. Après réflexion, il semble que le terme de <q>convergence des luttes</q> fasse aussi bien le boulot pour décrire ce que je veux décrire.</p>
<p>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/11/03/Amilitants#rev-wiki-footnote-4" id="wiki-footnote-4">4</a>] Je laisse au lecteur le soin de choisir ici toute formule utilisée tous les jours qui, en dernière analyse est parfaitement sexiste (mais quel con), ou xénophobe (filer à l'anglaise), ou homophobe (le gouvernement nous encule), ou pro-capitaliste (c'est Mon verre), etc, et que donc il convient de proscrire de nos usages linguistiques.</p></div>
https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/11/03/Amilitants#comment-formhttps://edgard.fdn.fr/blog/index.php?feed/atom/comments/25Coming outurn:md5:bbcc525f2d266891e87c39cd2b3a4d812016-12-29T09:45:00+01:002016-12-29T11:21:05+01:00Benjamin BayartPerso<p>Ce texte est beaucoup plus personnel que ce que je publie d'habitude. Mais c'est mon blog à moi, et je l'ai mis dans la rubrique <q>Perso</q>, alors je fais bien comme je veux. Il a été écrit en décembre 2015 (pour les gens qui voudront suivre les références, compter les dates, savoir si c'est d'eux que je parle, etc, ça compte).</p>
<p>J'ai d'abord diffusé ce texte à quelques personnes, des intimes, mais il était destiné à être publié. Il me semble qu'un an plus tard, c'est bien comme délai. La formulation en est volontairement ambigüe, complexe. Le <em>tu</em> à qui je m'adresse n'est pas le même d'une phrase à l'autre. Parfois c'est une personne précise, parfois c'est toi, lecteur. C'est fait exprès.</p>
<p>Le texte étant beaucoup plus personnel que ce que je publie d'habitude, je n'ai pas ouvert les commentaires. Ils n'ont pas à l'être. Si tu veux venir m'en parler, mes DM sur touitteurs sont ouverts. Tu peux aussi me joindre par Jabber, par Irc, par plein de méthodes en fait. Et je suis tout disposé à en discuter. Simplement, pas en public.</p>
<p>Et bien entendu, le titre est trompeur. Comme toujours chez moi :)</p> <h3>Peur</h3>
<p>J'ai peur de toi.</p>
<p>J'ai toujours eu peur. Aussi loin que j'arrive à me souvenir ou presque. En fait j'ai le souvenir de peine et de douleur. Les gens me font du mal. Facilement. Sur le tard, avec du recul, j'ai fini par admettre que c'est sans le faire exprès, mais je ne l'ai pas toujours compris.</p>
<p>Cette douleur crée une peur forcément. Cette douleur crée de la panique, un réflexe de fuite, le plus souvent morbide avec des envies de disparaître, là, tout de suite. J'ai appris à vivre avec.</p>
<p>J'ai appris à développer une méthode pour y survivre facilement: ne pas me dévoiler, ne pas me lier aux autres, garder une saine distance. Oh, et surtout, ne pas montrer la moindre aspérité, pas d'écarts, pas de coups de gueule, tout dans la moyenne socialement acceptable de mon entourage, à tout prix éviter le conflit, quoi qu'il en coûte de compromis et de négation de moi-même. Tout pour ne pas être rejeté.</p>
<p>Être rejeté par les méchants, par ceux que je ne connais pas, bon, passe encore, il me suffit de les mépriser et ça passe. Mais par mes camarades de jeu, par mon entourage, non.</p>
<p>J'ai donc développé ce personnage assez lisse, facilement reconnaissable, et je l'ai mis sur scène. Il fait le beau en public, pour que je sois accepté, pour que j'ai une petite place où je n'aurais pas peur qu'on me dise de dégager. Et ça marche relativement bien: dans mon univers de geek, même si je n'ose jamais aller vers les autres, on ne me rejette pas. On n'y connaît que le barbu à cravate, on ne sait pas qui je suis, je parais le plus souvent... disons réservé, un peu distant, peut-être arrogant aussi.</p>
<p>Je ne me lie que d'amitiés superficielles. Et si jamais elles risquent de ne plus l'être j'ai peur. Souvent je m'arrête à ça, et si je ne m'en rend compte que trop tard, alors j'ai mal, très facilement. Sans même qu'on me repousse, juste parce que je sais qu'on va me repousser. C'est une certitude, qui fait mal, bien qu'elle soit infondée. La confiance, croire que quelqu'un puisse m'apprécier, ça me prend des années, et le plus souvent je m'en passe.</p>
<p>C'était assez stable. Pas très chaleureux, mais stable. Plutôt coupé de la majorité des gens, mais le plus souvent indolore.</p>
<h3>Sortir</h3>
<p>Il y a un peu plus d'un an, j'ai décidé de te parler. À toi. Parce que... je ne sais pas. Parce que ça n'avait aucun sens de garder cette distance que je garde toujours quoiqu'il puisse advenir, même saoul à en vomir mes tripes. À toi, il fallait que je parle, c'était forcé. Tu n'imagines pas la dose d'angoisse que j'ai pris dans la tête, à chaque phrase, pendant des mois. La peur. La panique. Épouvantable.</p>
<p>La honte, la peur, l'envie de disparaître, immédiatement, de mourir pour ne plus ressentir ça. Je vis avec depuis longtemps. Il semble que les pensées morbides étaient là avant que je sache écrire si j'en crois les témoignages familiaux, mais peut-être pour d'autres raisons. Pourtant, je ne l'avais pas ressenti aussi fort et aussi souvent que cette année. Mais il fallait que je te parle, à toi. Je l'ai fait. Ça m'a coûté. Je suis content de l'avoir fait. Ça me coûte encore. Mais je veux continuer.</p>
<p>J'ai avancé. J'ai parlé. À toi aussi, là, en train de compter et de te dire que, mais, ça ne fait pas un an qu'on se parle. C'est aussi de toi que je parle, et à toi que je m'adresse.</p>
<p>Je te l'ai dit, que tu me fais peur. Je ne sais pas si tu l'as compris. J'ai une peur panique que tu ne me parles plus. À chaque fois que je te propose qu'on se voit, à chaque mot que je t'adresse, je sais au plus profond de moi que tu as n'importe quoi de plus intéressant à faire, que je te dérange.</p>
<p>Mon cerveau-rationnel sait que tout ça n'a aucun sens. Quand tu croises mon visage dans la foule tu souris. Manifestement, objectivement, ça te fait plaisir de me voir. Et je le sais, et d'ailleurs ça me fait un bien fou de te voir sourire quand tu croises mon regard.</p>
<p>Mais mon cerveau-intuitif n'en croit pas un mot. C'est par politesse, croit-il. En vrai tu t'en fous. Tu as mieux à faire. Je ne peux rien dire ou faire qui puisse t'intéresser. Et j'essaye d'arbitrer l'un contre l'autre.</p>
<h3>Nommer</h3>
<p>Parce que je ne vais pas bien, on m'a forcé à y réfléchir. Oh, j'aurais pu me jeter sous le métro, samedi matin. J'étais bien parti, je venais de céder à une impulsion de panique juste avant. Trois pas, un geste vif, et c'était bouclé. C'était la même impulsion, ça aurait été très vite. Mais j'ai préféré écouter la voix de la sagesse. Bon, le vrai bon conseil qu'on m'a fait admettre, c'est de consulter, mais je n'en suis pas là. Pour le moment je veux mettre un mot dessus.</p>
<p>Je ne veux pas retourner dans le personnage policé. Enfin, pas pour tout le monde. Pas tout le temps. Pas pour toi, au moins. Même si tu crois que je parle de quelqu'un d'autre.</p>
<p>Et puis au détour de mes lectures, ayant rejeté beaucoup d'autres mots, je suis tombé sur <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Trouble_de_la_personnalit%C3%A9_%C3%A9vitante" title="fr">cette page de Wikipedia</a>. Je n'ai pas les bases pour savoir si c'est vraiment de ça que je souffre, je ne suis pas du métier. Mais ça ressemble. Beaucoup.</p>
<p>Je n'ai rien appris de nouveau, sauf que j'ai un mot à mettre dessus. Et que depuis toujours je le gère. Je le gère en prenant sur moi pour venir te parler, pour revenir vers toi alors que j'ai peur et mal d'angoisse et de honte. Je le gère aussi par le personnage public, que je ne peux pas complètement virer si je veux survivre. Si tu m'aides un tout petit peu, il se pourrait même que j'arrive à le gérer facilement.</p>
<p>Au moins, maintenant, j'ai mis un mot dessus. Le kraken dans ma tête a un nom, un visage provisoire, qu'il faudra probablement valider avec un pro, pour voir.</p>
<h3>Post-Scriptum</h3>
<p>Pour toi, le fan-boy, qui viens me lire, parce que tu lis tout ce que je publie, qui crois que je viens de te livrer un bout de ma vie privée qui ne te concerne pas. Tu te trompes. Ça te concerne. Au premier chef.</p>
<p>Je sais parler sur scène. Je sais expliquer en public. Je sais écrire. Je n'ai pas le trac avant de parler à la radio ou à la télé. Je n'ai pas peur de ça. Mais je suis totalement incapable de venir te dire bonjour, à toi. Alors si toi tu as peur de me parler parce que tu m'as vu à la télé, on ne se parlera jamais. Et ce sera en partie de ta faute. Tu sais maintenant que c'est probablement plus facile pour toi de surmonter ta peur que pour moi.</p>Limiter le chiffrementurn:md5:ce47a338289f3a64f68f44807fa0b3602016-08-12T12:33:00+02:002016-08-17T17:10:50+02:00Benjamin BayartPolitique<p>Notre estimé ministre de la police fait encore parler de lui dans les internets. Cette fois-ci, il se propose de limiter, on ne sait pas encore très bien comment, le chiffrement des communications. <a href="http://www.nextinpact.com/news/100969-la-france-veut-lancer-initiative-internationale-contre-chiffrement.htm" hreflang="fr" title="Next Inpact">Next Inpact en parle</a>, pour les gens qui n'ont pas suivi. Petit retour, non pas sur l'idée elle-même (elle est idiote), ni sur le chiffrement (il est devenu nécessaire), mais sur les analyses que je vois fleurir sur les réseaux.</p> <h3>En vrac sur le fond</h3>
<p>J'ai pas envie de développer, vous savez sans doute déjà tout ça :</p>
<ul>
<li>le chiffrement est nécessaire, pour avoir un tout petit peu de vie privée, c'est un pilier des démocraties occidentales, c'est une caractéristique des régimes totalitaires que de nier aux gens le droit d'avoir une correspondance privée ;</li>
<li>le chiffrement qui ne soit pas de bout en bout ne sert à rien, sauf à faire un peu de décoration (l'espionnage a lieu sur les serveurs, si ce n'est pas chiffré de bout en bout, alors c'est en clair sur les serveurs) ;</li>
<li>interdire le chiffrement ne gênera pas les terroristes qui voudront s'en servir (ils font terrorisme comme crime, l'amende pour utilisation d'une application interdite, ils s'en branlent) ;</li>
<li>ça donnera à quiconque sait installer une application de chiffrement de bout en bout un très haut taux de reconnaissance sociale dans les milieux qui rejettent la société actuelle, un peu comme le premier passage par la prison est valorisé chez les délinquants, dans l'idée ;</li>
<li>la supposée interdiction sera donc simplement un accord avec les entreprises qui développent les applications les plus connues pour que ces applications stockent des copies accessibles aux policiers, du coup tous les espions du monde pourront tranquillement faire de l'espionnage économique<sup>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/08/12/Limiter-le-chiffrement#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup>.</li>
</ul>
<h3>Il est incompétent</h3>
<p>Les termes utilisés par les commentateurs vont de <q>illettrisme numérique</q> à <q>ignorance crasse</q>, parfois avec des variantes plus fleuries. Tous se trompent sur cet aspect-là.</p>
<p>S'il est bien entendu probable que M. Cazeneuve soit assez ignorant de quoi que ce soit touchant aux techniques numériques, au chiffrement, à la programmation, au réseau, ou aux outils de communication moderne, il est ministre. Et pas sur un petit ministère. Il est à la tête d'un ministère, qui compte plusieurs grandes directions. Toute cette administration regorge de gens compétents. Oh, pas tous, il doit bien y avoir deux ou trois médiocres ici ou là. Mais il a des gens très brillants dans le lot. Du polytechnicien, de l'énarque, les gens brillants ne manquent pas dans la haute fonction publique.</p>
<p>Certaines de ces administrations, côté ministère de l'intérieur, ou côté ministère de la défense, sont spécialisées dans les questions de sécurité informatique (on dit cyber-défense digitale de nos jours, mais qu'importe). Là aussi, on trouve des gens brillants, et qui en plus sont spécialisés sur le sujet. D'ailleurs ils se sont exprimés. L'agence nationale de sécurité des systèmes d'information (ANSSI) a dit, par écrit, dans une note publiée, que c'était une ânerie de vouloir affaiblir le chiffrement, et que ça allait affaiblir la sécurité au lieu de la renforcer.</p>
<p>Ne croyez donc pas qu'ils soient incompétents. C'est faux. Ils sont compétents. Ils sont entourés de gens brillants. Ils ont été avertis, par les bonnes personnes, qu'il ne fallait pas faire ça. Et ils le font quand-même.</p>
<p>Toute analyse qui s'appuie sur l'idée que nos ministres sont idiots est invalide. Toute analyse qui s'appuie sur le fait qu'ils soient incompétents, ou mal informés, cherche à leur trouver une excuse qui n'est pas la bonne.</p>
<h3>Mais alors...</h3>
<p>Alors l'analyse est plus compliquée à poser. Je ne vais aborder ici que quelques pistes, parce que ce n'est pas tellement mon sujet.</p>
<p>Le premier angle est de considérer qu'ils sont "fous". C'est un peu délicat à détecter, parce qu'ils ne portent pas un entonnoir sur la tête. Mais le comportement de nos ministres, leurs déclarations, la rédaction de tout un tas de textes officiels (décrets, lois, arrêtés, etc), la logique sous-jacente. Tout ça ressemble beaucoup à un comportement de personnalité paranoïaque. C'est une première piste d'interprétation. Saturés qu'ils sont d'informations alarmantes, mises en contexte par des hauts fonctionnaires de police qui ont des envies totalitaires, nos dirigeants sont en train de devenir fous. Pas fous avec un entonnoir comme la caricature dans les bandes dessinées. Mais simplement ce qu'on appelle paranoïaque dans le langage commun<sup>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/08/12/Limiter-le-chiffrement#wiki-footnote-2" id="rev-wiki-footnote-2">2</a>]</sup>.</p>
<p>Incroyable ? Pas tellement. Nos dirigeants vivent dans une bulle. Depuis très longtemps, comme politiciens de métier, ils sont assez isolés du monde commun. Une fois ministres, ils sont complètement coupés de toute forme de réalité. Souvenez-vous, Balladur, en pleine campagne présidentielle, à 60 ans passés, qui découvrait que dans le métro il fait chaud. S'il avait mis le nez dehors, il aurait pu découvrir que l'eau ça mouille, aussi. Nos dirigeants sont coupés de tout, et sont alimentés en continu d'informations anxiogènes par des hauts fonctionnaires des services de police, parfois (souvent ?) avec des visées sécuritaires ou totalitaires, typiquement Alain Bauer et ses semblables. Ça peut suffire à perdre les pédales.</p>
<p>Le second angle est de considérer qu'ils ont peur. Oh, pas peur de mourir dans un attentat, ils ne sont pas visés. Abattre un chef d'État ou un ministre, ce n'est pas du terrorisme, c'est de la politique, nationale ou internationale, à l'ancienne (songez à Kennedy dans les années 60). Non. Ils ont peur qu'on leur reproche leur inaction. Ils ont peur qu'il y ait encore des attentats, et qu'on dise que c'est de leur faute. Alors il faut bien faire quelque chose. Inutile, dangereux, totalitaire, n'importe quoi, mais quelque chose. Avec ce raisonnement-là, que beaucoup de politiciens tiennent, ils devraient tenter la danse de la pluie, ou le sacrifice rituel<sup>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/08/12/Limiter-le-chiffrement#wiki-footnote-3" id="rev-wiki-footnote-3">3</a>]</sup>.</p>
<p>Le troisième angle est électoraliste. L'électorat est essentiellement âgé. La majorité des votants a plus de 55 ans en France<sup>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/08/12/Limiter-le-chiffrement#wiki-footnote-4" id="rev-wiki-footnote-4">4</a>]</sup>. Cet électorat, traditionnellement acquis à la droite, ne comprend pas grand chose au numérique et à Internet. Que la télévision raconte que les terroristes communiquent avec des applis de téléphone portable cryptées<sup>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/08/12/Limiter-le-chiffrement#wiki-footnote-5" id="rev-wiki-footnote-5">5</a>]</sup>, et les gens ont peur. Ils savent à peine ce qu'est une application. Ils ne perçoivent même pas qu'une appli de communication, ils en utilisent, pour envoyer des SMS. Ils ne perçoivent pas que le fait de chiffrer les communications est normal. Et nos dirigeants essayent de caresser ce bout d'électorat qui a peur dans le sens du poil, avec comme objectif premier que la télé en parle.</p>
<p>Brandir le tout sécuritaire, agiter les peurs et les haines, c'est une stratégie pour récolter les votes des gens qui ont peur. Et les vieux sont des gens qui ont peur, qui diffusent de la peur. Du monde moderne (donc on dit du mal d'Internet), des jeunes (donc on dit du mal des téléphones et de <a href="http://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/un-depute-veut-encadrer-pokemon-go-par-une-loi-848221.html" hreflang="fr" title="BFM">Pokémon Go</a><sup>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/08/12/Limiter-le-chiffrement#wiki-footnote-6" id="rev-wiki-footnote-6">6</a>]</sup>), de tout ce qui bouge plus vite qu'un chat empaillé.</p>
<p>Enfin, il reste l'angle d'analyse le plus raisonnable. Nos dirigeants veulent surveiller le peuple pour s'assurer de rester au pouvoir quoiqu'il advienne. Oh, pas forcément eux individuellement, mais leur caste. Eux, leurs camarades de promos, leurs semblables. Et pour faire passer la surveillance généralisée de la population, le plus efficace est d'agiter la peur des terroristes. Ensuite, il suffira de qualifier de terroriste tous les gens qui s'opposent à leur caste. Par exemple ceux qui embêtent le monde sur les histoires d'aéroports, alors que quand même, le patron de la boîte de BTP qui construit, c'est un pote.</p>
<p>Je vous laisse choisir l'analyse qui vous plaît le mieux, aucune ne prétend être exacte ou complète. Mais celles qui supposent leur incompétence sont fausses.</p>
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/08/12/Limiter-le-chiffrement#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] Du coup, nos supers espions à nous pourront espionner toutes les boîtes du monde, et c'est trop la classe. Certain que les russes, les chinois ou les américains seront trop nigauds pour espionner nos entreprises à nous.</p>
<p>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/08/12/Limiter-le-chiffrement#rev-wiki-footnote-2" id="wiki-footnote-2">2</a>] Et, non, je ne pratiquerai pas l'exercice illégal de la médecine en posant sérieusement un diagnostic. Le fait d'avoir un comportement irrationnel, piloté par la peur, et par une peur hors de proportion, ça suffit à critiquer une mesure, pas à poser un diagnostic sérieux sur un individu. Par ailleurs la grande majorité des gens qui souffrent de problèmes psy ne sont pas "fous" au sens commun du terme, et sont tout à fait capables de dominer leurs peurs pour prendre des décisions rationnelles.</p>
<p>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/08/12/Limiter-le-chiffrement#rev-wiki-footnote-3" id="wiki-footnote-3">3</a>] On pourra utilement remplacer la jeune fille vierge, utilisée traditionnellement, par un Pokémon récemment capturé. Ça aura la même force symbolique, pour les Dieux, mais ça évite de faire du mal à des gens qui n'y sont pour rien.</p>
<p>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/08/12/Limiter-le-chiffrement#rev-wiki-footnote-4" id="wiki-footnote-4">4</a>] Je n'ai pas envie de me lancer en longueur sur ce sujet, mais les sociétés dont la population est jeune sont plus confiantes, et ont plus envies de changer le monde, que celles dont la population est âgée. J'avais lu une étude très intéressante par exemple sur le fait que les révolutions ont lieu dans des sociétés jeunes, avec une pyramide démographique très particulière, typiquement quand la majorité de la population à moins de 20 ans. Le fait de vivre dans un pays de vieux, ça ne dit pas que chaque individu devient facho quand il est atteint d'une maladie magique qu'on attrape à 60 ans et 12 jours. Non. Ça fait qu'on vit dans un pays qui a des préoccupations de vieux, des angoisses de vieux. Même quand on est jeune. Ça change la façon dont notre société se perçoit, et se vit.</p>
<p>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/08/12/Limiter-le-chiffrement#rev-wiki-footnote-5" id="wiki-footnote-5">5</a>] Oui, la télé, elle dit cryptée, parce que ça fout la trouille. Y'a une crypte. Un vampire. Des méchants. Une sorcière. Enfin un truc grave, vu que y'a une crypte.</p>
<p>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/08/12/Limiter-le-chiffrement#rev-wiki-footnote-6" id="wiki-footnote-6">6</a>] Oui, je met un machin de BFM en lien. J'ai honte, un peu, quand même.</p></div>
https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/08/12/Limiter-le-chiffrement#comment-formhttps://edgard.fdn.fr/blog/index.php?feed/atom/comments/23Sacrificeurn:md5:56f3541bc006ff6050857d0f65346fb32016-07-18T16:35:00+02:002016-07-21T09:00:30+02:00Benjamin BayartCafé du commerce<p>Peut-on sacrifier un individu pour une cause ? C'est ce que, si j'en crois mes
cours en terminale, on considère comme une question philosophique. Il y a une
vraie interrogation, susceptible d'interprétations, et qui n'est clairement pas
une question technique (parce que bon, techniquement, on peut, hein).</p>
<p>Avec un réflexe d'informaticien, on commence par analyser aux extrêmes. Le
premier extrême c'est de savoir s'il est raisonnable de sacrifier un être vil,
affreux, pour sauver tous les Hommes et offrir le bonheur sur terre. Ou, si on
commence par le point Godwin, si on est certain qu'en exécutant Hitler en 1932
on empêche guerre et génocide, faut-il le faire ? Tout le monde sera
raisonnablement d'avis que oui. L'autre extrême c'est de savoir s'il est
raisonnable de sacrifier un être pur et innocent (mettons, un bébé chat tout
mignon) pour une cause risible (genre économiser 3 centimes sur un seul
carambar). Tout le monde sera facilement d'avis que non.</p>
<p>C'est probablement une question qui a été traitée, depuis l'antiquité, par bien
des gens plus savants que moi.</p> <h3>Avertissement au lecteur</h3>
<p>Version courte : ce n'est pas de toi que je parle, quand je dis que des gens
font des choses sales, regarde, je ne donne pas de nom.</p>
<p>Version longue : quoi que je dise, tu le prendras mal. Je refuse de balancer
les noms des gens, des associations, les faits dont je me souviens sur plus de
20 ans. Certains des faits étaient vraiment dégueulassement crades. D'autres
étaient franchement anodins, sur la mauvaise pente, du mauvais côté du manche,
mais anodins. Et pour te dédouaner toi, il faudrait que j'allonge les noms de
tout le monde, pour que tu regardes sur quoi, quand, j'émets quel avis. Et je ne
veux pas faire ça.</p>
<p>Pour conserver ton estime de toi, tu devras alors considérer que tu as fait ce
que tu pouvais, quand tu pouvais, avec les moyens du bord. Tu repenseras aux
dix, cent, mille fois où tu as fait le bon choix, et que je suis bien sévère de
me souvenir de cette fois-là où tu as merdé sur un truc. Tu penseras peut-être
qu'en effet, tu as pu avoir certains travers, mais qu'on ne t'y reprendra plus.
Ou, plus simple, tu considéreras que du haut de mon arrogance habituelle je me
permet de juger mes semblables en les considérant mes inférieurs. Chacun son
mécanisme de défense.</p>
<p>Si tu penses que je te juge mal, si tu crois reconnaître ce dont je parle dans
un passage ou l'autre de ce billet de blog, viens m'en parler, à moi. Tu verras
bien si c'est de toi que je parle. Tu verras bien ce que j'en garde comme idée.</p>
<p>Et si tu crois que tu reconnais un cas dont je parle, sans que ce soit toi, tu
te trompes. J'ai plus de 20 ans d'associations dans les jambes. Chaque idée
présentée ici agrège (c'est exprès) des bouts d'expériences diverses, pour
essayer d'en tirer une généralité à deux sous. Tu crois que je parle de Robert
la fois où il a fait le truc là avec Henri et le virus d'Internet qu'il a mis
dans l'imprimante ? Oui, probablement, mais peut être pas, ou pas seulement.</p>
<h3>Au quotidien</h3>
<p>On croise la question de savoir si on peut sacrifier un individu pour une cause
de manière relativement régulière dans les engagements associatifs. Ou sous une
forme voisine, de savoir s'il est utile/acceptable de permettre la souffrance
de certains individus parce que cela permet d'atteindre un objectif jugé utile
pour la cause défendue par l'association, ou bien pour protéger le groupe
lui-même, assurer son bon fonctionnement, et donc au second degré défendre la
cause.</p>
<p>Et c'est bien entendu en dehors des cas caricaturaux que j'évoque en intro, et
qui n'existent pas, que la question se pose parfois dans la vie de tous les
jours. Souvent, la bien-pensance standard est de dire que non, houlalala,
jamais on ne permettrait de sacrifier un individu pour une cause. Mais c'est
une pétition de principe, rarement réfléchie.</p>
<p>J'ai en tête deux forme de contre exemple assez nets. Le premier est le fait
d'user les bénévoles, et l'autre est la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pens%C3%A9e_de_groupe" hreflang="fr" title="pensée de groupe">pensée de groupe</a>.</p>
<h3>User les bénévoles</h3>
<p>C'est rarement érigé en dogme, mais j'ai connu pas mal d'associations où, parce
qu'il faut bien tenir les délais impossibles, parce qu'il faut bien que le
spectacle commence à l'heure, parce qu'il faut bien telle ou telle contrainte
externe, on en vient à pousser trop loin des bénévoles (ou des salariés), à
brûler ses vaisseaux pour espérer atteindre l'objectif. Le plus souvent, de ce
que j'ai connu, la contrainte externe sert à se donner bonne conscience, à se
dire qu'on n'est pas le méchant exploiteur, parce que, c'est pas moi,
voyez-vous, c'est la contrainte.</p>
<p>Il est très rare que ce soit une approche réfléchie, je n'ai croisé ça qu'une
seule fois, et encore pas vraiment, la réflexion étant postérieure aux faits,
donc plutôt une tentative de rationaliser. Mais c'est souvent considéré comme
inévitable d'avoir des gens engagés, volontaires, entourés, et qui explosent
en burn-out, ou dans la version la plus douce en crise de larmes ou en crise
d'angoisse.</p>
<p>Supposer que c'est inévitable, ou que c'est acceptable, voire en faire un
système, c'est supposer qu'on peut sacrifier des individus pour une cause.</p>
<h3>La pensée de groupe</h3>
<p>C'est l'autre travers qu'on croise régulièrement.</p>
<p>Soit sous la forme que raconte wikipedia, directe, où le groupe crée un faux
consensus, que plusieurs (tous, parfois) membres du groupe jugent mauvais, et
auraient refusés chacun individuellement. L'exemple type, c'est le groupe qui
va faire des conneries, alors que chaque individu ne l'aurait pas envisagé
seul. Fabien cite un cas assez flagrant dans son billet <a href="https://eddie.fdn.fr/2016/04/28/viens-on-leur-jette-des-trucs.html" hreflang="fr">Viens, on leur jette des trucs</a>.</p>
<p>Soit sous une forme à peine différente, la pression du groupe, qui crée une
norme sociale (tous les groupes font ça), et l'impose avec plus ou moins de
fermeté à tous ses membres. C'est le regard noir si tu es le seul du groupe à
faire remarquer que toi, tu vas aller dormir parce que tu ne veux pas mourir
tout de suite. C'est le regard noir quand tu es le seul à dire que si on bosse
alors tu ne touches pas à la bière. C'est le regard noir quand tu sors un bout
de fromage de <strong>ton</strong> frigo, alors que ton chez-toi est envahi de potes vegans.
C'est le fait de railler ce qu'on considère comme les travers des autres, sans
envisager que peut-être certains dans le groupe sont concernés et vont
simplement baisser la tête.</p>
<p>Soit sous une troisième forme, qui revient à dire qu'on va casser, ou chasser,
ou endommager un individu, parce qu'on espère que ça préservera le groupe. Je
l'ai vu faire, brutalement, frontalement. C'est peut-être parfois nécessaire,
parce qu'une équipe ne peut pas avancer avec un élément trop perturbateur en
son sein. Mais je l'ai vu faire aussi dans des cas pas nets, pas francs, de
manière très peu affichée.</p>
<p>Le plus souvent, pour les membres du groupe, ces éléments ne sont pas ressentis
comme désagréables. On est tout à railler une cible commune<sup>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/07/18/Sacrifice#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup>, à moquer un
travers qu'aucun d'entre nous ne saurait avoir, on fait corps, on fait groupe,
on crée un esprit de groupe, heureux de partager. L'image qui vient en tête est
le groupe à l'humour gras, genre chasseurs en goguette, qui va railler les
faibles, les femmes, les tarlouzes, etc. Mais la forme exacte ne dépend que du
groupe. S'il porte sa bienveillance en étendard, la cible de la raillerie sera
plus fine, différente. On va moquer l'utilisateur quand on est adminsys. On va
moquer le not-all-men quand on est féministe. On va moquer la manif pour tous
quand on est LGBT. On va moquer le nerd quand on a une vie sociale. La liste
est infinie.</p>
<h3>L'amour de son prochain</h3>
<p>Et toujours, quand on croise ces phénomènes que j'associe à la pensée de
groupe, on retrouve des constantes. Une bienveillance affichée, souriante, mais
un comportement de loup derrière, pas assumé. Quelque part, très catholique de
culture : tu ne fais pas ce que le groupe considère comme étant le Bien, alors
pour ton bien, pour le salut de ton âme, on va t'aider avec bonté à devenir
normal, à rentrer dans le moule, en tapant un peu sur la tête, mais avec amour.</p>
<p>C'est le comportement, plein de compassion et d'amour de son prochain, d'une
Boutin qui veut, pour le salut de l'âme des homos, qu'ils mènent une vie sage
et rangée, mariés, avec quelqu'un du sexe opposé, devant monsieur le curé. Ils
peuvent bien être homos, dans le secret de leur être.</p>
<p>Ce comportement, je l'ai vu dans des associations. En général, je ne dis rien.
Mais quand je l'ai récemment pointé, les gens se sont sentis insultés. Mais
par fermeté d'âme, par solidité de leurs convictions, n'ont pas envisagé que
peut-être, il essayaient d'imposer avec amour leur bien-pensance personnelle à
certaines personnes, minoritaires. Que peut-être, sans en être déjà au bûcher,
ils en étaient déjà à rejeter l'autre et à le stigmatiser sur une faiblesse.</p>
<h3>Et de ça, j'ai honte parfois</h3>
<p>Qu'on me comprenne bien. On peut réfléchir en stratège, accepter de perdre
trois légions entières, pour en faire perdre cinq à l'ennemi et emporter la
victoire. Mais alors on l'admet, on le dit, on l'assume et on le théorise, on
devient César et on l'accepte. Dans cette approche là, les gens sont des
soldats, des outils, une ressource dont on peut user. On les objectifie, pour
ne pas devenir fou. Et on avance, en se battant, vers ce qu'on espère être
la victoire, ou au moins le prochain combat.</p>
<p>Mais quand on se dit bienveillant, quand on refuse l'approche du stratège et
qu'on prétend à un autre modèle de lutte, alors ce recours fréquent, et surtout
masqué, et pas du tout assumé, à des formes de sacrifices pose un problème.
L'hypocrisie.</p>
<p>Ces comportements, le bénévole jetable comme l'effet de meute d'un groupe qui
se croit bon, dont l'effet est de sacrifier des individus au nom d'une cause,
je les ai vus dans des associations que j'ai fréquenté, en gros de 1993 à nos
jours, ce qui fait la totalité de ma vie associative. Les gens que j'ai vu agir
comme ça, faisant du mal, parfois salement, le niant quand on leur montre,
agissant comme des loups habillés de bienveillance, ce sont mes copains, mes
amis, mes intimes parfois. Des gens que j'aime beaucoup.</p>
<p>Sur les plus violents de ces comportements, j'ai une opinion extrêmement rude,
ce billet de blog étant l'expression la plus soft que j'ai pu avoir sur le
sujet. Les mots qui me viennent spontanément sont orduriers.</p>
<p>Et moi je ne dis rien, lâchement je baisse la tête et je reste dans le groupe.
Pour ne pas me retrouver seul. Et puis il faut bien défendre la cause,
comprends-tu...</p>
<div class="footnotes"><h4>Note</h4>
<p>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/07/18/Sacrifice#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] Je tiens à préciser, parce que ça a été mal compris parfois. Je parle ici des cibles communes. Pas de la légitimité à choisir ces cibles. Pas de savoir si les cibles l'ont bien cherché et bien mérité. Pas de savoir si c'est nécessaire, et bienfaisant pour la psychologie du groupe. Je parle du phénomène qui consiste à railler une cible, tous ensemble. À retirer à cette cible le statut de sujet, d'humain, pour en faire un objet déshumanisé de raillerie. Le simple fait que le groupe puisse considérer ce phénomène comme normal, le simple fait que te trouvant dans un des exemples que je vais citer tu te dises <q>Ah mais non, tout de même, ceux-là, là, ils nous font du mal en permanence, on peut bien leur foutre un peu sur la gamelle quand on est entre nous !</q>, c'est signe que tu les considères pas-tout-à-fait-humains. Attaquer son ennemi, démonter ses arguments, ne pas lui laisser occuper seul la parole publique, ce n'est pas de ça dont je parle. C'est de l'épisode <q>raillerie pour faire groupe</q> que je suis en train de parler. La légitimité éventuelle de la victime à être victime parce qu'elle a mal fait... c'est précisément ce qui fait consensus dans le groupe !</p></div>
https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/07/18/Sacrifice#comment-formhttps://edgard.fdn.fr/blog/index.php?feed/atom/comments/22Faire !urn:md5:7c9c38f72972836dc84c5cf2e904ef5f2016-01-26T22:29:00+01:002016-01-27T09:33:58+01:00Benjamin BayartPolitique<p>Lors du dernier quadr'apéro auquel j'ai participé, j'expliquais à un groupe de gens en train de s'alcooliser également une idée qui me semble simple, presque évidente, mais qui leur paraissait abstraite. J'ai eu depuis l'occasion de la ré-expliquer à d'autres, et elle leur semblait aussi inattendue ou étrange. Du coup je viens la raconter par écrit.</p>
<p>C'est une idée assez simple, en lien en particulier avec la notion d'engagement politique : il importe de faire le monde que nous voulons, beaucoup plus que de lutter contre le monde que nous ne voulons pas.</p> <h3>Poser le problème</h3>
<p>J'ai été amené récemment à expliquer le même concept à partir de deux points de vue différents.</p>
<p>Le premier était lié aux luttes difficiles que nous menons sur le front politico-juridique contre pas mal de textes (loi sur le renseignement, état d'urgence, conservation des données de connexion, etc). Mes interlocuteurs considéraient que puisque la seule forme d'écoute que nos politiques peuvent accorder est celle des actions violentes, alors nous devions devenir violents, mettre le feu à des immeubles, des voitures, bloquer des rues, etc. J'en comprends la logique, les taxis ou les agriculteurs sont entendus comme ça, alors que nous qui jouons dans les règles sommes moqués et ignorés. Il ne viendrait à l'idée d'aucun ministre ou d'aucun député de moquer les agriculteurs ou les taxis. Mais nous moquer, nous qui sommes des gentils, il peut se l'offrir. Si la méthode brutale marche pour eux, on peut l'utiliser aussi, n'est-ce pas ?</p>
<p>Le second était lié à des histoires de financement. Pour financer telles des activités qui comptent pour nous, une solution peut être de monter une boîte qui vende des prestations (formation, par exemple, sur la sécurité informatique, ou sur l'usage des outils, ou...), et de faire de cette boîte une pompe à fric, compréhensible pour l'ancien monde des affaires (ça fait des factures, ça vend un truc), et qui permette de financer des projets clefs, politiques ou techniques, surtout techniques dans l'idée de mon interlocuteur. Si des boîtes sont capables de payer des milliers d'euro du conseil bidon, et ne comprennent pas qu'il faut donner 500 balles pour GPG ou pour OpenSSL, c'est une méthode qui semble séduisante. Et pourtant non, parce qu'elle nous force, nous, à rentrer dans leur monde pourri à eux, à changer nos esprits pour nous accorder au leur. Et c'est une erreur stratégique.</p>
<p>Dans les deux cas, j'arrive à la même idée : il importe de faire notre monde, notre société, selon nos méthodes. Nous voulons le faire sans passer par la case business ? Alors ne passons pas par cette case-là. Parfois, pour faire notre monde, notre société, avec nos règles, il faut que nous passions du temps à empêcher les nuisibles de trop nuire. Il faut par exemple essayer d'atténuer, un peu, le mal que nos politiques peuvent faire au monde quand ils essayent à toute force de s'accrocher au pouvoir contre toute logique, contre tout bon sens. Quand ils privilégient leurs petits intérêts électoraux, en agitant les peurs pour monter dans les sondages, au lieu de privilégier l'intérêt général en cherchant à apaiser la société. Quand ils utilisent les prétextes les plus vils pour assouvir leur soif de pouvoir. Leur envie de contrôler une société qui est en train de leur glisser des mains.</p>
<h3>Essayer de l'expliquer</h3>
<p>Le résultat est souvent frustrant. On voit OpenSSL ou PGP, qui sont des pièces centrales de toute forme de business en ligne, de toute forme de défense de la vie privée et de la sécurité de nos données, n'être ni financés ni soutenus. L'industrie s'en fiche. Les politiques s'en fichent. En matière de sécurité informatique, il n'y a rien qui puisse être plus urgent que de rendre solides et pérennes de tels développements. Rien. S'il y a une seule urgence, elle est là. Parmi les millions dépensés par la France en sécurité informatique, combien sont consacrés à ça ? Zéro. Pas le plus petit pouillème. C'est rageant au dernier degré. C'est à vous dégoûter de toute forme de politique. Oh, et pas même la déductibilité des dons de votre feuille d'impôts. Zéro je vous dit. Pire, ils seraient bien capables de re-qualifier comme lucrative, bien que désintéressée, l'association qui gérerait ça, et donc la soumettre à la TVA et à l'impôt sur les sociétés<sup>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/01/26/Faire#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup>. C'est à hurler.</p>
<p>Pourtant, ce qui compte c'est de faire notre monde. <em>Selon nos règles. Malgré leurs bêtises.</em> Tout est là.</p>
<p>Lutter pour réduire la nuisance de leurs bêtises, en essayant de faire rentrer un tout petit peu d'intérêt général dans leur champ de compréhension du monde qui vient, c'est bien, c'est dans le bon sens. Mais ce n'est pas la finalité. C'est un moyen de protéger le monde que nous voulons, et que nous faisons, sans eux, malgré eux.</p>
<p>Il ne faut pas perdre de vue la société que nous voulons. Nous ne voulons pas de la façon habituelle de faire des affaires et des logiciels et des ordinateurs, alors ne rentrons pas dans leur jeu. Bien sûr, quand on voudrait bosser à plein temps sur un projet d'intérêt général et qu'on ne peut pas, qu'on est obligé de vendre sa force de travail à des malfaiteurs à la place, c'est frustrant. Ça nous ralentit. Mais faire rentrer nos projets dans leur système, c'est tout perdre. Il vaut mieux ne perdre que 35 heures par semaine à gagner de l'argent pour mener nos actions utiles le reste du temps. Quitte à tout perdre, autant laisser tomber et ne rien coder, ne rien faire.</p>
<p>De mon point de vue, il y a deux sortes de choses utiles : réduire les nuisances sans renoncer à ce que nous faisons, d'une part. Et faire le monde que nous voulons, d'autre part.</p>
<p>Réduire les nuisances, c'est une très grosse part de ce que j'essaye de faire, depuis des années, par La Quadrature, par les actions juridiques de FDN puis de la Fédération FDN, par la participation de la Fédération aux travaux de l'ARCEP, etc. Le but n'est pas d'en faire sortir un réseau propre et défendant l'intérêt général. C'est impossible comme ça. Le but est de les empêcher de <em>trop</em> nous nuire.</p>
<p>Faire, construire, c'est l'essentiel de ce que je fais quand je fais en sorte pendant 14 ans que FDN existe et tourne. Je suis loin d'être seul à le faire, et ça fait partie intégrante de ce que je veux comme monde : faire ensemble. Du réseau propre, fait en groupe, par nous, pour nous. Pas du réseau propre fait par un mec tout seul. Du réseau fait ensemble, des gens qui apprennent ensemble, qui font circuler du savoir, qui créent du lien humain au moins autant qu'informatique, qui prennent soin les uns des autres, qui se soutiennent. C'est aussi ce que je fais quand je pousse, depuis 5-6 ans, à l'émergence d'autres FAIs associatifs. Là non plus, je ne suis pas seul à le faire. Là aussi, le collectif est un élément essentiel du projet.</p>
<h3>Martin Persil</h3>
<p>Mais quel rapport ? Depuis quelques jours, je vous tanne (pour ceux qui me suivent sur touitteur) avec le projet de cantine à roulettes de Scar. Mais quel rapport ? Normalement, je parle de typo ou d'Internet, pas de cuisine. Je ne suis pas réputé être un grand promoteur des projets vegan...</p>
<p>En fait, ce que fait Scar dans ce projet, la façon dont il bosse, la façon dont ça fonctionne, la façon dont c'est pensé, c'est exactement ce dont je parle ici. Il fait ce qu'il peut pour pousser vers le monde qu'il veut. Et le monde qu'il veut, il ressemble bigrement à celui que je veux, à celui d'Internet. Fait de gens qui échangent, qui communiquent, qui se retrouvent tous à la même table alors qu'ils n'ont pas les même mœurs alimentaires. Où on travaille (ici à cuisiner) pour construire du lien social, et pas pour construire une fortune personnelle.</p>
<p>Son projet, à Scar, je trouve qu'il ressemble énormément à ce qu'on essaye de faire comme monde. Il s'y intègre parfaitement. Des circuits d'approvisionnement courts, des façons de faire du travail tout ce qu'il y a de plus sérieux, mais dans une ambiance qui autorise à aimer les gens, à vivre avec eux tout autant qu'on produit avec eux. Scar, il fait du manger comme je voudrais qu'on fasse du réseau, sérieusement, mais sans jamais oublier qu'on le fait ensemble. Faire, ensemble, avec bienveillance, et avec sérieux, en prenant soin des gens.</p>
<p>Voilà pourquoi je vous tanne pour qu'on arrive, collectivement, à trouver les quelques sous dont il a besoin.</p>
<p>C'est <a href="https://www.kickstarter.com/projects/martinpersil/martin-persil-la-cantine-vegan-a-roulettes" hreflang="fr" title="ici">ici</a>. Et c'est maintenant.</p>
<h3>Faire</h3>
<p>Voilà la notion que je voulais exposer ici : ce qui fait qu'on gagne à la fin, ce n'est pas que nos politiques se réveillent, un matin, ayant renoncé à leurs ambitions personnelles. Ce n'est pas qu'on a réussi à gagner nos guerres contre eux. C'est que le monde a changé, malgré eux. Et pour que le monde change, en plus de les ralentir, il faut <strong>faire</strong>. Faire le monde que nous voulons.</p>
<div class="footnotes"><h4>Note</h4>
<p>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/01/26/Faire#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] Je ne déconne pas, ils l'ont fait pour FDN.</p></div>
https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/01/26/Faire#comment-formhttps://edgard.fdn.fr/blog/index.php?feed/atom/comments/21Des ptits cœurs...urn:md5:865a8c58c977624a05a76e016cfda0322015-11-26T13:21:00+01:002015-11-26T14:31:50+01:00Benjamin BayartCafé du commerceGrompf<p>Je m'interroge parfois sur les modes de communications de mes contemporains. Ça peut donner des idées amusées sur l'usage du tiret typographique, comme sur l'usage de mots qui me semblent nouveaux. Rien de bien savant là-dedans, j'essaye seulement d'arriver à comprendre ce que disent les gens de la génération d'après, pour ne pas me couper trop vite du monde en devenant vieux trop précocement.</p>
<p>Une des modes actuelles est de mettre des petits cœurs partout. C'est tout mignon, et pour ainsi dire fort <em>kawaï</em>. Cependant, ça m'agace et j'avais un peu de mal à comprendre pourquoi. J'ai fini par mettre le doigt dessus.</p> <h3>Dire ses émotions</h3>
<p>Je suis peut-être un peu vieux jeu, mais j'essaye, quand il me prend la folie de vouloir dire mes émotions, de trouver des mots. La tâche est compliquée. On peut aimer de bien des manières, on peut être en colère pour bien des raisons, la tristesse même a des variantes. Et j'essaye de trouver des mots, quand il me prend l'envie de dire ça. C'est parfois évident, parfois épouvantablement compliqué.</p>
<p>Bien entendu, les sentiments que j'éprouve pour les gens sont les plus complexes à exprimer. Dire que j'aime la Guinness ou la tarte caramel-pécan, c'est un truc assez simple. Ça peut s'enrichir quand j'essaye d'expliquer qu'un plat, dans une circonstance, rappelle des souvenirs, des idées, et donc des joies ou des peines anciennes. Mais enfin, rien d'insurmontable.</p>
<p>Mais les sentiments pour les personnes, c'est toujours compliqué à mettre en mots pour moi. Parce que ce sont des choses compliquées, pleines de nuances, de différences. Sans bien entendu parler de la pudeur, qui fait qu'une fois que j'aurais trouvé quels mots décrivent ce que j'éprouve, je vais très courageusement me taire le plus souvent.</p>
<p>Simplement mettre des petits cœurs partout, dans des touittes, dans des billets de blog, avec des poneys en arc-en-ciel et des étoiles, ça dit de l'affection, de manière assez jolie, mais il me semble de manière incontrôlée. Sans passer par le verbe. Et, il me semble, sans se donner la peine de comprendre ce qu'on ressent.</p>
<h3>L'incapacité à dire</h3>
<p>Quand je déborde d'affection, ou de chagrin, ou de frustration, ou de colère, les mots sont difficiles à trouver. J'ai l'impression que le fait de ne pas pratiquer ce passage par le verbe pousse à avoir un vocabulaire plus réduit, donc une capacité d'expression de tout ça qui est bien plus faible. Et du coup, quand l'émotion est forte, la seule chose qui vient, ce ne sont pas des mots. Ce sont des gestes, ou de la communication non-verbale. Une émotion qu'on ne domine plus.</p>
<p>Pour moi, quand on n'arrive pas à dire aux gens qu'on les aime, parce que c'est un peu en vrac, un peu mélangé, et assez fort, c'est le même problème que quand on n'arrive pas à dire sa colère. Ça ressort sous forme d'émotions brutes. Oh, tant que ce sont des petits cœurs, des <3 partout, c'est gentil. Mais quand l'émotion en question sera une émotion forte et négative, ce qui ressortira ce sera de la violence. Contre soi, si on a un peu de maîtrise. Contre l'autre, si on n'a pas cette maîtrise.</p>
<p>Quelqu'un qui frappe parce qu'il n'arrive pas à dire ce qu'il ressent, parce qu'il n'a pas les mots, qu'il manque de pratique de la langue, il me semble que c'est la même logique que quelqu'un qui déverse une affection brute, qu'il n'a pas su mettre en mots, c'est quelqu'un qui se laisse emporter par ses émotions.</p>
<p>Du coup, je ne suis pas un grand fan des petits cœurs partout. Et j'en fait un usage fort modéré.</p>https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2015/11/26/Des-ptits-c%C5%93urs...#comment-formhttps://edgard.fdn.fr/blog/index.php?feed/atom/comments/20Inauguration, tome 2urn:md5:a2fd22a04098a5db6a10b9c1784e54ac2015-11-25T19:19:00+01:002015-11-25T19:39:13+01:00Benjamin Bayart<p>Presque 10 ans après l'ouverture de mon blog, je change complètement d'outil. Pour faire joli. Pour chercher une motivation à écrire.</p> <p>Mon blog était, historiquement, fait avec blosxom, un vieux bout de script Perl, probablement plus du tout maintenu, et offrait une mise en page, disons rustique, pour être gentil. Moi, rustique, ça m'allait bien, je pouvais le modifier à la main, ça ne posait pas vraiment de problème de sécurité, et le système était tellement simple que je pouvais le maintenir à la main. Mais il aurait fallu mettre un poi-poil de CSS dessus, pour qu'il soit moins rustique, pour qu'on puisse encore commenter, etc.</p>
<p>Du coup, j'ai préféré poser un dotclear tout neuf. Pas particulièrement joli. Pas particulièrement bien configuré. Qui doit être plein de trous de sécurités partout, auxquels je ne comprend rien. Mais ça fait un peu moins mal aux yeux quand on le regarde.</p>
<h3>Ce que sont devenus les vieux textes</h3>
<p>J'ai recopié, rapidement, tous mes anciens textes (il n'y en avait pas beaucoup) dans le dotclear tout neuf. Le seul que j'ai publié est le plus ancien. Certains autres seront remis en ligne. Pour le moment, les commentaires sont "perdus", en ce sens que je ne sais pas comment (facilement) les réinjecter dans dotclear, en conservant les dates.</p>
<h3>Ce que je vais raconter ici</h3>
<p>C'est que c'est une grande interrogation ça. Depuis plus de 20 ans, j'ai une activité militante soutenue. J'ai bien des endroits où m'exprimer, quand c'est dans le cadre des activités militantes. Je peux raconter la typographie et la publication de poésie sur le site des <a href="http://voix-garages.fr/" hreflang="fr">Éditions des Voix de Garages</a>. Je peux raconter beaucoup de choses sur le <a href="http://blog.fdn.fr" hreflang="fr">blog de FDN</a>. Il devrait bientôt y avoir de la place sur le site web de <a href="http://lqdn.fr" hreflang="fr">la Quadrature</a> pour y publier des tribunes, en tant que membre du conseil d'orientation stratégique, ou simplement en tant que bénévole. J'ai aussi l'occasion de parler au nom de <a href="http://www.ffdn.org" hreflang="fr">la Fédération FDN</a>. Bref, les lieux ne manquent pas.</p>
<p>Et cependant, il traîne régulièrement des sottises dans ma tête. Par exemple des réflexions dignes du café du commerce sur ce que je vois du monde. Tant que je ne le met pas par écrit et en public, je n'ai aucune chance d'avoir un avis intelligent dessus qui m'aide à progresser. Par exemple des lectures, sur plein de sujets pas tellement liés aux associations où je suis impliqué. Ces derniers mois c'étaient le féminisme, les exclusions, les questions lgbtqif<sup>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2015/11/25/Inauguration%2C-tome-2#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup>, les relations interpersonnelles, etc. Tout ça n'est que très très indirectement lié aux associations auxquelles je participe. Et je n'ai d'ailleurs rien de très intelligent à dire sur le sujet. Simplement je lis. Beaucoup. Frénétiquement. De tout ça, parfois, en entrechoquant quelques idées, il me vient des choses que je pourrais dire. Des idioties, hein. Mais encore une fois, comment les faire corriger sans les dire.</p>
<p>Alors voilà, ça me trotte depuis un moment, ré-animer ce vieux blog moribond, et y raconter des bêtises. Parler de sujets que je ne maîtrise pas. Histoire qu'on vienne m'engueuler quand je me trompe. Histoire d'apprendre.</p>
<p>Oui, je sais, c'est très étrange de recommencer à parler en public ici alors que j'ai fermé mon compte touitteur il y a quelques jours.</p>
<p>Je suis comme ça. Étrange.</p>
<div class="footnotes"><h4>Note</h4>
<p>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2015/11/25/Inauguration%2C-tome-2#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] Oui, l'acronyme peut faire peur: lesbienne, gay, bi, trans, queer, intersexe, et féministe.</p></div>
https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2015/11/25/Inauguration%2C-tome-2#comment-formhttps://edgard.fdn.fr/blog/index.php?feed/atom/comments/19Call for presentation ?urn:md5:d826690b248ea6714739eebf6cf5c6cb2015-09-01T10:21:00+02:002015-11-26T11:26:58+01:00Benjamin BayartConférencesCapitoleDuLibreGrompf <p>Ce n'est pas la première fois qu'on me fait le coup. Alors j'ai eu envie de vous dire quelques mots là-dessus... La dernière occasion, c'est ce touitte-là.</p><blockquote class="twitter-tweet" lang="fr"><p dir="ltr" lang="fr"><a href="https://twitter.com/CryptoPartyTls">@CryptoPartyTls</a> <a href="https://twitter.com/capitoledulibre">@capitoledulibre</a> je veux pas dénoncer, mais ni <a href="https://twitter.com/AdrienneCharmet">@AdrienneCharmet</a> , ni <a href="https://twitter.com/bayartb">@bayartb</a> n'ont proposé de sujet.</p>— Xavier Mouton-Dubosc (@dascritch) <a href="https://twitter.com/dascritch/status/638424555459997696">31 Août 2015</a></blockquote><p>Quel est le sens de ce touitte ? Je vais vous resituer un peu le contexte. Depuis quelques années, je fais un duo pour la conférence de clôture de Capitole du Libre, à Toulouse. D'abord avec Jérémie, avec qui on avait mis au point un format un peu particulier, dynamique, permettant d'aborder une dizaines de sujets en relativement peu de temps. Ensuite avec Adrienne, quand elle a pris la suite de Jérémie à la Quadrature, on a essayé de garder ce format. Il semble que les organisateurs de Capitole du Libre veuillent qu'on revienne faire notre numéro. C'est gentil et flatteur.</p><p>Quel est alors le sens de ce touitte ? Il estime normal que je fasse le spectacle de clôture de l'évennement, et que donc je sollicite un créneau dans le programme pour ce faire ? Mais... Mais non... La sollicitation est dans l'autre sens... Il vient me demander, en public, face caméra, de bien vouloir remplir le CERFA avec des cases pour demander humblement de bien vouloir faire la présentation qu'il attend de moi sur le sujet qu'il attend de moi ?</p><p>Dis, coco, on inverse les rôles. Ou bien c'est toi qui me demande de venir faire le show pour la clôture, et alors ton formulaire c'est ton problème, pas le mien. Ou bien tu souhaites faire savoir que le call for presentation est lancé et qu'on a jusqu'à tel moment pour proposer une présentation.</p><p>Moi, je veux bien venir faire le spectacle. Je l'ai dit, y compris en public. Et je ne fais pas payer la prestation, je veux juste que ça ne me coûte pas le prix du billet de train. Mais la conférence que j'ai qui tourne dans la tête, celle sur laquelle je gamberge en ce moment, elle ne cadre pas avec Capitole du libre. Oh, si je la propose, elle pourrait bien être accepté, parce que je suis connu, parce que je fais de l'audience, mais voilà, elle ne cadre pas avec ton programme. Donc, je la garde sous le coude, je continue de la machouiller, pour savoir si je veux la faire, et quand, et où, pour toucher le public que ça intéressera, et pour présenter mes arguments de la manière que je crois être la plus convaincante.</p><p>J'en ai d'autres des conférences possibles en stock. Mais celle qui m'intéresse le plus, elle n'est pas pour Capitole du Libre.</p><p>Alors si tu veux le tandem Bayart-Charmet pour faire la conférence de clôture, tu arrêtes de mendier le fait qu'on remplisse ton formulaire. Tu te prend par la main et tu le remplis tout seul. Adrienne et moi sommes à ta disposition pour les détails logistiques comme les horaires de nos trains ou avions.</p><p>Après, tu verras peut-être passer mon nom dans une proposition de conférence, qui ne sera pas celle que tu as sollicité, mais une de celles que j'ai envie de faire en ce moment. J'en ai trois en tête, dont deux pourraient se faire à Capitole du Libre.</p><p>Sois gentil, n'inverse pas les rôles.</p>https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2015/09/01/Call-for-presentation#comment-formhttps://edgard.fdn.fr/blog/index.php?feed/atom/comments/3Être candidat aux européennes ?urn:md5:3f8b0d75849326336f4b668bce899fcb2014-03-13T17:34:00+01:002015-11-26T11:47:19+01:00Benjamin BayartPolitiqueEurope<p>La question n'est pas récente. Elle est même plutôt ancienne, en vrai. La première fois qu'on m'en a parlé, c'était pendant la bataille Hadopi. On sortait de je-ne-sais-plus quelle causerie autour du sujet, et on était en train de prendre un pot. C'est Fred Neau, à l'époque responsable du numérique pour les Verts Paris, qui avait lancé l'idée. D'abord de me voir député-tout-court (donc à l'Assemblée Nationale), puis, parce que je me proclamais incapable des coups-bas que demande une campagne sur un scrutin uninomial, de lancer "d'accord, mais aux européennes, ça pourrait".</p><p>Depuis, le paysage politique s'est dramatiquement assombri. En particulier, sur les sujets qui me préoccupent et où je suis compétent, c'est-à-dire sur tout ce qui touche au numérique. Le PS au pouvoir s'est montré à peu près aussi mauvais que l'UMP. Et avec des conséquences que je pense graves (j'y reviendrai). Bref, je résume, le paysage politique continue de pourrir, comme l'explique Eric Walter, le secrétaire général de la Hadopi dans <a href="http://www.ericwalter.fr/essays/2014/03/vote-blanc-ou-cheque-en-blanc/">un billet de blog</a>.</p><p>Le changement récent, c'est la création d'un machin qui s'appelle <a href="http://www.nouvelledonne.fr">Nouvelle Donne</a>, et qui se targue de vouloir faire de la politique autrement. J'ai découvert quand Isabelle Attard les a rejoint. Depuis, l'idée me tourne dans la tête. Tout comme Eric Walter, je ne me sens plus capable de voter pour aucun des partis usuels, ils sont vraiment tous trop... Je ne sais même pas quoi dire... Ils font n'importe quoi, effrontément, et supposent béatement que personne ne verra rien.</p> <p><b>Numérique, crise, polycrise, et analyse de contexte.</b></p><p>Le mot <i>Polycrise</i>, je l'ai piqué dans un bouquin de Michel Rocard. Il désigne le fait que trois crises majeures, qui chacune pourrait boulverser une quantité incroyable de choses, sont en train de se produire en même temps.</p><p>La première, c'est l'explosion à répétition de la finance hors de contrôle. Le dernier cas similaire connu, c'est celui de 1929, qui se traduit par des politiques d'austérité dans toute l'Europe. Ces politiques poussent à la monté des extrêmes dans toute l'Europe, jusqu'à la prise du pouvoir par les fascistes en Italie, les franquistes en Espagne, et les nazis en Allemagne. Regardez bien, on est pile sur cette pente là, et pile dans le timing. Pardon ? Ah oui, la gauche est au pouvoir en France. Oui. Tout juste. En 1936, 3 ans avant la guerre, ça s'appelait le Front Populaire.</p><p>La seconde crise, c'est la fin des énergies fossiles. Pour le pétrole, le déclin est commencé, on ne peut pas en produire vraiment plus, et on va même être contraint d'en produire progressivement de moins en moins, et de plus en plus cher. La totalité de notre économie repose sur le postulat que l'énergie ne coûte presque rien. Et, comme le montre très bien JM Jancovici dans ses différentes conférences, le PIB est directement indexé sur la production d'énergie. Retrouver de la croissance sans trouver une source d'énergie bon marché et non-polluante, c'est impossible. Cette crise-là aussi, sera majeure.</p><p>La troisième crise, c'est l'avènement du numérique et d'Internet. Je l'ai expliqué dans assez de conférences, allez voir <a href="http://www.iletaitunefoisinternet.fr/comprendre-un-monde-qui-change-internet-et-ses-enjeux-benjamin-bayart/">en ligne</a>. La société change. Vite. Beaucoup. Ce changement de société peut se passer relativement en douceur. Ou pas. Le précédent qui vient en tête, c'est l'apparition de l'imprimerie, qui s'est traduit par le protestantisme d'une part (et donc le bain de sang des guerres de religion dans toute l'Europe) puis par les Lumières et la Révolution Française ensuite (pas mal sanguinolante aussi).</p><p>Ces trois changements majeurs ont lieu, peu ou prou, en même temps. Et tous les trois peuvent nous amener dans le mur. Et aucun de nos politiques n'en parle sérieusement.</p><p><b>Mon approche initiale</b></p><p>Après avoir pas mal gratouillé le sujet. Après avoir vu Françoise Castex, députée européenne que je respecte pour son travail sur les sujets du numérique, et ses positions (par exemple) contre ACTA, quittait le PS pour Nouvelle Donne, et donc avoir recommencé a gratouiller dans cette direction, je me suis fait une opinion.</p><p>J'en arrivais à : être sur une queue de liste électorale, et donc devenir marqué politiquement, c'est sacrifier la légitimité que j'ai (chèrement) acquise sur tous ces sujets, pour n'avoir rien en échange. Pas plus d'écoute, pas plus de capacité d'expliquer à des politiques toujours sourds. Bref, ce serait sacrifier l'utilité que je peux avoir en échange de... rien.</p><p>Puis, lors d'une visite à Bruxelles (j'allais expliquer la neutralité du Net à des assistants parlementaires du groupe ALDE), je me retrouve, alors que ce n'était pas prévu à l'agenda initial, à boire quelques bières avec l'assistant parlementaire de Castex. Et lui m'explique clairement qu'il manque un pilier numérique à Nouvelle Donne, et que je devrais me présenter aux européennes, que ça lui semble évident que je pourrais être tête de liste, et qu'en gros, ils pourraient bien adopter un programme sur le numérique que j'aurais écrit à 80%.</p><p>La question change alors tout d'un coup. Je pensais que j'obtiendrais au mieux une place inutile en fin de liste. Mais là on me parle d'être peut-être à la tête d'une liste (y'a une procédure à suivre et tout ça, mais au moins ce n'est pas exclus), donc d'avoir une vraie chance pas complètement nulle de me retrouver député européen, et donc d'aller mettre du numérique partout dans le parlement européen...</p><p><b>La gamberge</b></p><p>Du coup, je prend rendez-vous avec Isabelle Attard, qui est membre du bureau national de Nouvelle Donne, et je commence à gamberger sur le sujet. Je me dresse une liste des points négatifs, il y en a une quantité invraissemblable. Je me dresse une liste des points positifs, il y en a 2-3 importants.</p><p>Dans les points négatifs, en vrac, c'est pas mon boulot, je n'aime pas travailler en anglais, je vais perdre tout le crédit que j'avais obtenu pour défendre les associations, je vais foutre mon patron dans la merde (il va perdre son directeur technique), je ne serai plus écouté en France, étant marqué politiquement, de toutes façons je ne serai pas élu, et même si j'étais élu, c'est pas moi tout seul qui bougerai le Parlement Européen, et de toutes façons c'est la Commission qui bloque autant qu'elle peut.</p><p>Dans les points positifs, il y a le fait que je ne peux pas me plaindre de la politique menée, et refuser de participer quand on me le propose. Il y a que Snowden a montré avec raison que nos gouvernement luttent <i>contre</i> nous, et qu'on ne peut pas laisser passer. Il y a que, quand on veut que quelque chose avance, il faut le faire, au lieu d'en parler.</p><p>Comme tout libriste habitué, en pareil cas, je lis. Tout ce que je trouve comme documents sur le fonctionnement interne de Nouvelle Donne, ce que publie le ministère de l'Intérieur sur l'organisation des élections. Les règles pour être candidat, le financement de tout ce merdier, le mode de scrutin, etc.</p><p>Alors voilà. Après mûre réflexion, les points négatifs, bon, ils sont négatifs. Mais je ne peux pas raler si je n'ai pas essayé de faire. Je ne saurai pas? Sans doute. J'apprendrai, ou au moins j'aurais essayé.</p><p>Du coup, j'en suis à poser le scénario type:</p><ul><li>Si je me porte candidat à la candidature, il y a toutes les chances pour que je ne sois pas désigné, ou seulement loin sur la liste, et donc avec aucune chance d'être élu. En pareil cas, je retire ma candidature, c'est idiot de sacrifier un acquis pour rien.</li><li>Si par mégarde j'étais placé en tête de liste, alors, il y a un trou noir. Il faut que je fasse campagne, sérieusement, pendant deux mois. Et donc que je vive sans salaire. J'ai beau avoir un très joli salaire, je n'ai pas un sou de côté. Mettons, je fais clodo pendant deux mois. Normalement, je ne suis pas élu, et je peux retourner au travail. J'ai sacrifié 15 ans de vie associative, mais au moins j'aurais essayé de faire quelque chose.</li><li>Si jamais je suis élu, alors là c'est la catastrophe. Mais ça devient passionant. J'ai 5 ans pour essayer de faire bouger quelque chose, en espérant que l'Europe de soit pas à feu et à sang avant ça.</li></ul><p>Et là, je ne sais pas. J'y vais ? J'y vais pas ?</p>https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2014/03/13/%C3%8Atre-candidat-aux-europ%C3%A9ennes#comment-formhttps://edgard.fdn.fr/blog/index.php?feed/atom/comments/11Délocalisation, régimes spéciaux, et taux d'intérêts composés.urn:md5:d92237030c8f8ddcc7da810b4c79c4062008-01-04T18:30:00+01:002015-11-26T20:56:58+01:00Benjamin BayartCafé du commerce<p>Ça fait près de 18 mois que je n'avais pas écrit quelques lignes ici. C'est en lisant un article du Big Bang Blog (et le flot de commentaires) que j'ai eu envie de mettre par écrit quelques pensées sur des sujets voisins. Je suis, pour le coup très clairement, en dehors de mon domaine de compétences, puisque je vais parler essentiellement d'économie et de politique.</p><p>Ce que je veux exposer est assez facile à résumer: nous devenons pauvres parce que les plus pauvres que nous nous tirent vers le bas, mais ce n'est pas grave parce que la magie des taux d'intérêts composés fait qu'on va gagner à la fin. Il me semble que ce raisonnement, une fois mis au propre, est valable. Et qu'une fois qu'on le sait valable, on peut en tirer quelques conclusions politiques intéressantes.</p> <p>Premier point: nous devenons pauvres parce que les plus pauvres que nous nous tirent vers le bas. C'est assez simple à comprendre, sur le principe. Les progrès techniques, en particulier sur les transports et la communication, font qu'il est de nos jours très raisonnable économiquement (pour le bon sens, c'est une autre affaire) de faire pousser des pommes de terre en Picardie, de les faire éplucher ailleurs en Europe, pour les rappatrier dans un troisième pays où elles seront découpées et pré-cuites, pour enfin finir en frites dans une échoppe à 30 km du lieu où elles ont poussé.</p><p>Tout ce qui peut être produit dans une usine en un lieu donné, peut être produit par la même usine en tout autre lieu de la planète, moyennant quelques aménagements. Si la production recquiert impérativement de parler une langue donnée (pour la hotline d'un opérateur, par exemple) on ne peut viser que des endroits où on peut raisonnablement espérer trouver une main d'œuvre parlant la bonne langue. De même, il faut quand même que le gain de coût de production ne vienne pas à être dépassé par le surcoût de transport. Faire repasser mes chemises en Chine, quand bien même la main d'œuvre y serait gratuite, ce n'est pas rentable.</p><p>Mais ce sont là des limitations plutôt rares, et qui tendent à disparaitre. La tendance de fond est là: de plus en plus de choses sont produites dans des pays pauvres, parce que ça ne coûte pas cher de produire là-bas. D'où en toute logique quelques conséquences simples:</p><p class="item">- une croissance très haute dans ces pays-là, puisque leur activité économique se développe à toute vitesse;</p><p class="item">- une croissance un peu atone dans les pays qui perdent la production, pas de décroissance massive cependant: les lecteurs de DVD sont produits en Chine, mais sont vendus et achetés en France, donc tout le commerce tourne en France, seule l'usine a changé de place.</p><p>Une vision simpliste est de croire que la richesse s'écoule de France (des pays dits riches, plus généralement) pour remplir la Chine (les pays dits émergents, plus généralement) par une frontière devenue poreuse. Comme l'eau qui s'écoule de la piscine pour innonder le jardin quand la piscine est trouée. Cette vision est en bonne partie fausse: la Chine produit des lecteurs de DVD beaucoup moins chers, la France en consomme donc plus, créant ainsi de la croissance dans d'autres secteurs que la fabrication de lecteurs de DVD (vente de DVD, avec contenus ou vierges à graver, commerce, transport de marchandises, etc).</p><p>On trouve là un premier phénomène, relativement connu: une délocalisation, c'est une partie de l'activité qui s'en va, et qui va être remplacée par une autre. Très pénible pour le délocalisé-chômeur, mais macro-économiquement pas alarmant.</p><p>Par exemple, on s'alarme que la production de programmes d'ordinateurs puisse maintenant se délocaliser (en Inde, souvent). Ce n'est pas nécessairement dramatique: comme ceux écrits ailleurs dans le monde, ces programmes d'ordinateur vont demander des compétences infinies pour savoir les faire fonctionner proprement, pour former les utilisateurs, etc.</p><p>Plus amusant, la règle de composition des taux d'intérêts. Là, pour le lecteur nul en maths, il faut quelques explications. Une croissance de 10%, tout le monde sait ce que ça veut dire: là où il y avait 100, il y a maintenant 110. Du coup, s'il y a 10 fois de suite cette croissance, le naïf peut croire qu'on monte de 10 à chaque fois et que donc au bout du compte, il y a 200. Ce qui n'est pas vrai. Au premier coup, on monte de 10, passant de 100 à 110. Mais au deuxième coup, on monte de 11, passant de 110 à 121. Bon, on s'est gouré de 1, ce n'est pas bien grave. Mais au troisième coup, on monte de 12,1, pour passer à 133,1. Là, on s'était gouré de 2,1, c'est déjà plus sensible. Mais au quatrième coup, on monte de 13,31, beaucoup plus que 10, après tout, et on en est qu'au quatrième coup.</p><p>C'est ce que les mathématiciens appellent une croissance exponentielle, ou croissance géométrique. Une croissance linéaire, c'est de monter de 10 à chaque fois (100, 110, 120, etc) une croissance géométrique c'est de monter de 10% à chaque fois (100, 110, 121, 133,1, etc). Quand on parle de croissance en économie, c'est toujours en pourcentage. On ne dit pas que le PIB a augmenté de 50 milliards, on dit qu'il croit de 2%. Et pour une bonne raison: la croissance en économie à bien cette forme explosive de croissance rapide. Quand on trace la croube de la croissance de l'Europe sur les deux derniers siècles, par exemple, ça se voit très bien. Une forme de courbe caractéristique: qui semble presque écrasée par terre au début, puis décole, et innexorablement va croissant de plus en plus vite.</p><p>Ainsi, en partant de 100, avec une croissance de 10%, en 10 coup, on est à 259,37. Pas du tout à 200, tout compte fait.</p><p>Maintenant, revenons à notre fuite dans la piscine-France vers le jardin-Chine. Supposons qu'au départ la France est 10 fois plus riche que la Chine, étant riche de 100. Et que donc la Chine est riche de 10. Supposons que la croissance est tellement atone en France qu'elle est négligeable, nulle (ce qui n'est pas le cas). Supposons alors que la croissance en Chine est de 8% en moyenne pendant la phase de "fuite" (ce qui n'est pas le cas, en ce moment c'est plutôt entre 10 et 15%). Voyons en combien de temps la Chine aura rattrapé la richesse de la France: 30 ans. Dans notre hypothèse, en 30 ans, la Chine est devenue plus riche que la France (qui ne s'est pas appauvrie) et donc se met à délocaliser vers chez nous, si on applique le même raisonnement.</p><p>Par exemple, ces jours-ci, les jounaux parlent du fait que la Chine se met à produire des avions, venant concurrencer Airbus et Boeing. Naïvement, on peut croire que c'est très grave, que mais où s'arrêteront-ils, etc. Mais non, c'est plutôt une bonne nouvelle. Si la Chine sait aussi produire des avions et des centrales nucléaires, ça ne l'intéressera plus, bientôt, de produire des tee-shirts et des pantalons. Le pays sera devenu trop riche pour s'intéresser à ce travail. Ça ne veut pas dire que la production de tee-shirt reviendra dans une France très pauvre, composée de travailleurs pauvres. Ça veut surtout dire que le déséquilibre ne sera plus aussi grand, et peut-être un jour sera dans l'autre sens. Aussi, le fabriquant de tee-shirt aura le choix entre de la main d'oeuvre cher en Chine et de la main d'oeuvre cher en France.</p><p>Cette idée-là n'est pas neuve: les pays pauvres, cessant d'être pauvres, deviendront de très bons partenaires commerciaux, et cesseront d'exercer ce qu'on considère comme de la concurrene déloyale.</p><p>Pendant que la piscine-France fuit un peu, elle continue à produire de l'eau, de plus en plus d'eau (autour de 2% de croissance, quand on est déjà une énorme piscine, ça fait de l'eau de produite), et le jardin-Chine en produit aussi, à un rythme beaucoup plus soutenu (13%, ça fait rêver tous nos politiques), mais en partant de plus bas. Assez vite, les deux niveaux vont se rejoindre, et vont se rejoindre plus haut que le bord de la piscine au départ!</p><p>Ce qui est intéressant, ce sont les conclusions à en tirer: cette situation de déséquilibre est passagère. S'ils arrivent à faire prospérer leur économie, ils nous font temporairement un peu de concurrence brutale, s'ils n'y arrivent pas, ils ne nous font aucun mal.</p><p>Ce qui est important, c'est que c'est temporaire, ce n'est pas définitif. Ils ne sont pas définitivement, et pour toute la fin de l'éternité, plus compétitifs que nous. Les pays émergeants sont, pour quelques années, peut-être quelques décennies (une paille à l'échelle de l'Histoire, même de l'histoire industrielle) plus compétifis que nous, ensuite ils sont appelés à nous avoir rejoint.</p><p>Du coup, quand on nous chante que les entreprises en France ne peuvent pas résister face à la concurrence des pays emmergents, c'est très partiel, et très partial. Pour la fabrication de tee-shirts, c'est très probablement vrai, et il est illusoire de vouloir résister, on peut tout aligner sur le bas (salaires, retraites, sécu, école) on n'arrivera pas au niveau de salaire des esclaves des usines chinoises les moins coûteuses. Mais c'est aussi partiellement faux: il y a encore moyen de faire tourner une activité économique rentable en France, simplement, pas la fabrication de tee-shirts.</p><p>Une conséquence en matière de politique, qui n'est pas évidente pour tout le monde: il n'est pas utile de brader notre système social, il nous handicap un peu en ce moment, mais ça passera. Sacrifier le droit du travail? Pas utile. Sacrifier la protection sociale? Pas utile non plus.</p><p>Les pistes sont à chercher ailleurs, la question n'est pas: comment être moins cher que la Chine? La question est plutôt: comment tenir pendant cette passe difficile?</p><p>Là, les réponses sont multiples. D'abord, les réponses de très court terme: s'endetter. La dette, ce n'est pas mal, si ce n'est pas structurel, nous dit-on. Financer notre protection sociale à grand coup de dettes, si on sait que le déficit est ponctuel et est lié à cette situation provisoire, alors c'est viable. Et ce n'est pas vivre aux crochets de nos enfants, comme on nous l'a beaucoup dit, c'est préparer pour nos enfants un monde où la richesse se sera alignée sur le haut, alors que nous pouvions craindre un monde aligné sur le bas.</p><p>Qu'on ne me lise pas mal. Financer par la dette la dépense courrante, c'est malsain. C'est vivre aux crochets de nos enfants. Mais, par exemple, décider de financer par la dette la couverture sociale des entreprises qui sont dans un secteur très fortement concurrencé par les salaires trop bas des pays emmergents, ça se discute.</p><p>Autre piste: il faudra bien considérer que les pays emmergents sont des partenaires commerciaux, ce qu'on appelle aussi parfois des concurrents. Il faut donc faire ce qu'on fait toujours face à un concurrent: devenir meilleur que lui. Sur le prix de la main d'oeuvre, pour le moment, on a perdu. Il faut donc cultiver les atouts qu'il nous reste, où nous avons une certaine avance (le tertiaire, les services, la recherche scientifique, etc). Ce n'est pas une solution définitive, et ce n'est pas censé l'être. Quand nous innovons, les chinois regardent comment on fait. Quand ils innoveront, on regardera aussi.</p><p>Cette solution, celle de la concurrence-émulation, n'est pas destinée à tuer l'adversaire (comme la concurrence-destruction), mais à s'appuyer sur lui pour monter plus haut. Ce n'est pas un moyen de devenir définitivement riche en laissant la Chine définitivement pauvre: pour ça, il vaut mieux la concurrence-destruction, par exemple sous forme de pillage colonial, ou néo-colonial en laissant la Chine se cantonner à la production de matière première, comme on le pratique si bien en Afrique. C'est un moyen de résister dans le tourmente, et de prendre, peut-être, un coup d'avance pour quand nous serons à parité. Bref, de compenser la fuite dans la piscine par la production d'un peu plus d'eau.</p><p>Curieusement, ce ne sont pas les solutions retenues par nos dirigeants politiques, ils ont plutôt tendance à nous expliquer qu'il faudra bien qu'on renonce à tout, puisque les chinois s'en passent. Nos actionnaires d'entreprise ont un raisonnement simple: là-bas, moins cher, bien, moi veut moins cher, joujou, cadeau, siyouplé. Et nos politiques ont une fâcheuse tendance à prendre tout ça pour argent comptant.</p><p>Pourtant, nos dirigeants sont bien plus doués que moi en économie, même s'ils sont assez probablement nuls en maths. Il faut croire qu'Oncle Bernard avait raison: un économiste, c'est comme un astrologue ou une cartomancienne, ça voit ce que ça a envie de croire.</p>https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2008/01/04/D%C3%A9localisation%2C-r%C3%A9gimes-sp%C3%A9ciaux%2C-et-taux-d-int%C3%A9r%C3%AAts-compos%C3%A9s.#comment-formhttps://edgard.fdn.fr/blog/index.php?feed/atom/comments/18La vie des grands fauves, tome 5urn:md5:06e907deda4f172a537fd5e0b85f0fb42006-07-26T17:30:00+02:002015-11-26T20:32:30+01:00Benjamin BayartTélécomsArcep<p>L'<a href="http://www.arcep.fr/">ARCEP</a> (Autorité de Régulation des Communications Électroniques et Postales, ex-ART) se propose de lever le contrôle imposé à FT (France Télécom) sur le marché de gros de la vente de collecte nationale.</p><p>Ce contrôle, qui avait été allégé il y a un peu moins d'un an était lié à une étude du marché de gros de la collecte nationale en ADSL. Avant l'allégement, FT présentait son offre de référence à l'ARCEP qui décidait de la valider ou pas. Après l'allègement, FT mettait en place son offre, et l'ARCEP pouvait postérieurement la retoquer si une distorsion de concurrence se faisait jour. L'ARCEP propose aujourd'hui de lever complètement ce contrôle, considérant que le marché évolue spontanément vers la concurrence.</p> <h3>Distorsion de concurrence</h3><p>Il faut bien comprendre que l'ARCEP ne fonctionne pas avec le « bon sens » commun, outil trop dangereux par nature, mais avec des outils économiques nettement plus compliqués à comprendre et plus abstraits. Je vais essayer d'expliquer avec mes mots les deux éléments clefs.</p><p>Le premier élément est le ciseau tarifaire. C'est un élément qui est intéressant sitôt qu'une entreprise réalise une concentration verticale, sitôt qu'elle fait à la fois de la vente en gros et de la vente au détail. Si une entreprise vend au détail au prix <i>z</i>, et qu'en même temps elle vend le même produit en gros au prix de <i>x</i>, et que les pratiques usuelles du marché font que pour transformer le produit de gros en produit de détail ça coûte <i>y</i>, le prix de vente minimum d'un détaillant qui s'approvisionne chez cette entreprise est <i>x+y</i>. Mécaniquement.</p><p>Les deux prix, <i>z</i> pour le prix de détail et <i>x</i> pour le prix de gros sont faciles à comprendre. C'est le prix <i>y</i> qui est plus compliqué à comprendre. C'est par exemple, pour un marchand de fruits et légumes le prix de son magasin, le salaire de la vendeuse, l'entretien de la caisse enregistreuse, etc. Pour un fournisseur d'accès ADSL, c'est par exemple les frais de facturation (édition et envoi de factures, le système informatique qui traite tout ça, etc), le service client (le service administratif qui traite les abonnements, la hotline, etc).</p><p>Si le prix de détail est de 10, si le prix de vente en gros est de 8, et si le prix de transformation du gros en détail est de 3, alors on a un ciseau tarifaire. Quelqu'un qui voudrait monter une offre concurente serait contraint de vendre plus cher que le prix de détail partiqué par son fournisseur. On peut alors ergoter, si le détaillant était mieux organisé, payais moins cher ses esclaves, heu ses salariés, trouvait un système informatique plus efficace, peut-être qu'au lieu de 3 la transformation pourrait lui coûter seulement 0,8. Auquel cas le ciseau tarifaire disparaît.</p><p>Il y a un cas cependant où le ciseau tarifaire est absolument évident, c'est quand le prix de gros est plus élevé que le prix de détail. Par exemple quand (on ne dira pas son nom) vend en gros à une association 15,15 € ce qu'il propose à 14,90 € au prix de détail.</p><p>Si ça se produit dans le monde des télécoms, et si c'est le fait d'un opérateur puissant (c'est à dire d'un opérateur à même de modifier le marché de son seul fait), alors l'ARCEP peut intervenir et faire changer le prix de gros et/ou le prix de détail. C'est par exemple ce qui est en train de se passer sur le prix de gros des SMS, l'ARCEP commence à intervenir. Le seul opérateur puissant dans le marché de l'ADSL est FT. Une pratique anti-concurentielle d'un autre acteur ne pourra donc être sanctionnée que par la DGCCRF, pas par l'ARCEP.</p><p>Une autre façon de voir le ciseau tarifaire est de considérer que la vente au détail de la grande entreprise est basée sur son offre en tant que grossiste. Par exemple en isolant dans une filiale la vente au détail. En toute logique, cette filiale fera de la vente à perte, compensée globalement par les bénéfices de la filiale grossiste.</p><p>L'autre élément est le tarif d'éviction. C'est plus facile à comprendre. C'est simplement, pour une entreprise ayant une position dominante de vendre tellement peu cher qu'aucun concurent ne pourra s'installer. Ainsi, si c'est le prix de vente en gros qui est trop élevé, on parle de ciseau tarifaire. Et si c'est le prix de vente au détail qui est trop bas, on parle de tarif d'éviction.</p><h3>Transposons dans les télécoms</h3><p>Voyons ce que ça donne dans le marché de la vente en gros de collecte ADSL nationale. Si FT fait cette vente à un tarif prohibitif, personne ne peut utiliser son offre de vente en gros. Et si FT fait cette vente en cassant les prix, aucun opérateur ne pourra se baser sur son réseau de dégroupage (collecte régionale) pour faire une offre de collecte nationale qui ne serait pas rentable face à l'offre nationale.</p><p>Quand un marché doit être régulé, l'ARCEP se base (entre autres) sur ces deux élements pour savoir si une offre est valable ou pas.</p><h3>Marché pertinent</h3><p>Pour qu'un marché précis du monde des télécoms soit « pertinent », c'est-à-dire soit succeptible d'être régulé par l'ARCEP, en se basant sur les textes européens qui régissent la libéralisation des télécoms, il faut qu'il remplisse 3 critères:</p><ul><li class="item">l'existence de barrières élevées et non provisoires à l'entrée, qu'elles soient de nature structurelle, légale ou réglementaire (par exemple s'il faut avoir déjà dégroupé 500 centraux téléphoniques pour avoir le droit d'en dégrouper, ça interdit d'entrer sur le marché);</li><li class="item">les marchés dont la structure ne présage par d'évolution vers une situation de concurrence effective (par exemple, si une entreprise en position dominante pratique des tarifs d'éviction, le marché seul ne permettra pas aux concurrents d'émerger);</li><li class="item">l'incapacité du droit de la concurrence à remédier à lui seul à la ou aux défaillances concernées du marché (moins clair, ça doit pouvoir s'interpréter par exemple si c'est un marché en évolution très rapide alors que les procès pour entrave à la concurrence durent des années, ou si l'entrave à la concurrence n'est pas suffisante pour que l'action de la justice puisse suffir à rétablir la situation).</li></ul><p>Le principe est donc simple: si ces trois critères ne sont pas réunis, il n'y a pas lieu de réguler le marché.</p><p>Il est intéressant de constater que ces critères sont à appliquer entre les acteurs du marché en question, entre eux. Pas vis-à-vis de leurs clients. Ainsi, si c'est un marché de gros, et s'il interdit l'apparition de détaillants, ce n'est pas pris en compte, du moment que les grossistes sont effectivement en concurence.</p><h3>L'analyse de l'ARCEP</h3><p>Sur le marché de gros des offres de collecte ADSL nationales, il n'y a en ce moment que deux acteurs, France Télécom et NeufCegetel. Un troisième va bientôt se lancer dans la course : Completel, dont un des détaillants est par exemple Darty.</p><p>L'offre de référence de FT ne représente plus que 40% du marché. Combiné avec l'entrée imminente d'un nouvel acteur sur le marché, ça fait dire à l'ARCEP que le marché va évoluer spontanément vers une concurrence effective. C'est-à-dire que les 3 grossites seront bien effectivement en concurrence pour le bénéfice de leurs détaillants.</p><p>En ce sens, l'analyse de l'ARCEP est valable.</p><p>Par contre, le fait qu'il n'émerge pas (ou peu) de détaillants ne préoccupe pas l'ARCEP. Le fait que le marché de gros empêche l'entrée de nouveaux venus sur le marché de détail ne préoccupe pas l'ARCEP. Et l'ARCEP a raison. L'ARCEP applique les textes qui ont été votés par les politiques, au niveau européen et au niveau national. Et les textes indiquent clairement, par les trois conditions qu'on a vu, que le but n'est pas d'introduire la libre concurence sur le marché de détail, mais simplement de permettre aux gros opérateurs d'un pays de pouvoir s'installer dans un autre.</p><p>La présence d'Orange (FT) dans de nombreux pays européens sur plusieurs marchés (téléphonie mobile, accès à Internet, etc), et la présence de plusieurs opérateurs historiques étrangers en France (Deutshe Telekom, alias Club-Internet; Telecom Italia, alias Alice), indiquent clairement que les politiques européens, principalement la Commission, sont des gens doués et efficaces. Leurs textes ont eu précisément l'effet escompté.</p><h3>Conclusion</h3><p>De tout cela, il ressort qu'effectivement, au sens des textes européens, il n'y a plus lieu de réguler le marché, puisqu'il existe une concurrence entre grossistes. Mais il ressort aussi que les pratiques anti-concurentielles empêchant, ou freinant, l'entrée de nouveaux acteurs sur le marché de détails sont légion.</p><p>Pour arriver à cette conclusion, il ne suffit pas d'analyser le marché de gros, ou le marché de détail, indépendament. Il faut analyser les deux marchés ensemble, et se demander pourquoi il y a tellement peu de détaillants, alors que la demande est si forte.</p><p>Le grand public est demandeur d'offres « Leader Price » en matière d'accès à Internet, d'offres pas cher, avec un service à peu près nul. Mais il y a aussi, c'est incontestable, une demande pour un service moins bas de gamme, avec un vraie assistance (par exemple une assistance à domicile). Le public est aussi demandeur d'une relation privilégiée avec un « artisan informatique » de quartier, comme on en a une avec son boucher par exemple. C'est donc bien surprenant que cette offre n'apparaise pas, alors qu'il y a une demande. La raison en est simple, les textes ne sont pas fait pour ça. Et, là encore, c'est bien de choix politiques qu'il est question.</p>https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2006/07/26/La-vie-des-grands-fauves%2C-tome-5#comment-formhttps://edgard.fdn.fr/blog/index.php?feed/atom/comments/9La vie des grands fauves, tome 4urn:md5:8d3027d0009bebac984c0b3c5118e7602006-06-16T17:28:00+02:002015-11-26T20:15:46+01:00Benjamin BayartTélécomsArcep<p>On est quelques-uns, en France, à réfléchir autour des structures pour créer une dynamique réseau, autour du FTTH, autour des opérateurs locaux, des opérateurs alternatifs, etc.</p><p>Un point revient régulièrement dans nos réflexions : si on veut éviter la concentration d'Internet aux mains de quelques multinationales incontrolables, il faut en passer par des opérateurs neutres. Il faut éviter les concentrations verticales. J'en parle d'ailleurs dans le <a class="ref-post" href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2006/03/25/La-vie-des-grands-fauves%2C-tome-1">tome 1</a> de cette série sur la vie des grands fauves.</p> <p>En effet, le modèle serait celui-là: le réseau physique appartient aux pouvoirs publics (région, État, etc). Par un moyen quelconque (service public, délégation de service public, autre) ce réseau est mis à disposition de tous les opérateurs, aussi bien les grands opérateurs nationaux que les micro-opérateurs locaux. Et bien entendu, dans des conditions équitables et qui permettent à chacun de s'y retrouver. Par exemple, en évitent les frais fixes au début du contrat : s'il faut payer 20.000 € avant de commencer à travailler, les PME ne pourront pas se créer autour.</p><p>En gros, jusqu'à présent, sur ce sujet là, j'avais croisé deux opinions classiques. D'un côté, les gens qui veulent éviter le monopole et qui veulent une concurence très ouverte, où les opérateurs locaux peuvent cohabiter à côté des opérateurs nationaux ou internationaux. De l'autre côté, les gens qui trouvent que l'ADSL se développe très bien, qu'il suffit de laisser France Télécom investir en paix et bien tout monopoliser, et que quand le gâteau sera gros les lions (Free, NeufCegetel, etc) se débrouilleront bien pour en récupérer un bout.</p><p>Ça peut sembler curieux, mais, en gros, l'idée d'une concurrence très ouverte, mettant les opérateurs tous au même niveau, est plus classiquement attachée aux gens de gauche. La libre concurrence, officiellement, c'est pas de gauche. Par contre, l'idée d'un tissus de petites entreprises assurant un développement en région, à l'opposé du monstrueux développement des très grand groupes mondialisés, elle vient de l'alter-mondialisme, et c'est plutôt classé à gauche. Tout aussi curieusement, l'idée de favoriser l'ancien monopole d'État, on la trouve plus souvent chez les gens de droite. Pourtant, France Télécom, qu'est-ce qu'ils ont pu dire comme mal dessus, tant que l'État était majoritaire. Mais voilà, la libre concurrence où le très gros écrase le gros, et où le gros écrase le moyen, c'est un truc qui vient de l'ultra-libéralisme type Madelin. Donc ça vient plutôt de droite.</p><p>Dans le cadre de mes activités associative (<a href="http://www.fdn.fr">FDN</a>) je m'intéresse beaucoup aux réseaux neutres qui sont en train de se créer, pour que FDN puisse aller y fournir de l'accès. Pas forcément rentable, mais pour amorcer quelque chose. Pour aider à faire fleurir sur la région concernée un FAI associatif du même type.</p><p>Le dernier que j'ai trouvé, c'est Net27, le réseau en délégation de service public du département de l'Eure. Donc je suis allé lire les quelques maigres informations disponibles sur leur site Web. Ça commence gentiment, techno ADSL et wiMAX, délégation de service public, bref, ça ressemble bien à ce qui intéresse FDN en ce moment.</p><p>Et puis je suis tombé sur quelques phrases qui m'on fait peur. J'ai l'impression qu'ils on fait un réseau nu. Sans les routeurs. Chacun vient poser ses routeurs partout. Et visiblement, on est présent soit sur tout le réseau du département, soit nulle part. Du coup, pour commencer à discuter, il faut acheter un plein camion de routeurs.</p><p>Un peu plus loin, je lis « La DSP vend en gros aux FAI et chaque FAI vend au détail. Chaque FAI établira librement son prix selon son offre. ». Le mot qui me choque, en plein milieu, c'est le mot « gros ».</p><p><em>Je tiens bien à le préciser : je ne suis pas encore rentré en contact avec les gens de Net27. Jusque-là, j'étais factuel, indiquant ce que j'avais lu et ce que j'en avais compris. Là, je vais me lancer dans ce que j'en déduis, entre autre politiquement. Tant que je n'aurai pas eu quelqu'un de Net27 au téléphone pour me confirmer les conditions financières du machin, l'analyse est à prendre au conditionnel.</em></p><p>On a donc affaire à un nouveau modèle. Le réseau dont les investissements sont faits par les pouvoirs publics, et qui ne sert qu'à rentabiliser les grandes entreprises privées. C'est un concept. Les esprits vifs me diront que c'est forcément un raisonnement de droite. En effet, puisque la zone n'est pas rentable à couvrir pour les opérateurs, si on veut qu'ils viennent, il faut financer pour qu'ils ne perdent pas d'argent. Raisonnement classique de la droite qui veut que quand une entreprise va mal, on la renfloue, et que quand elle va bien, elle paye des dividendes à ses actionnaires.</p><p>Là où ça devient commique, c'est que j'ai découvert ce réseau sur un SPAM du Parti Socialiste. Ils sont très fier, dans leur bla-bla d'auto-promotion de dire que le département de l'Eure, moderne, bla-bla, fibre optique, bla-bla, ADSL, etc. Et que le président du conseil général c'est un gars de chez eux. Contents et fiers ils sont.</p><p>Ils annoncent qu'ils préfèrent favoriser les grandes entreprises plutôt que les associations et petites entreprises. Ils préfèrent pousser NeufCegetel, Alice et Deutshe Telekom plutôt que <a href="http://www.fdn.fr">FDN</a> ou <a href="http://www.neuronnexion.fr">Neuronnexion</a>. Et, eux, c'est le PS. Les champions de la gauche. Ceux qui nous expliquent à longueur de discours politiques qu'on ne peut pas laisser faire ces cochons de capitalistes-financiers.</p><p>S'il vous vient un doute : je ne pense pas que ce brave élu PS ait choisi délibérément une solution comme ça. Je pense simplement qu'il n'y a pas réfléchi. Il n'y a pas pensé. Ça lui paraît tellement évident qu'un FAI, c'est forcément un <em>gros</em> FAI, que tous les FAIs sont, forcément, par loi de la nature, des grandes entreprises. Il n'envisage pas qu'un FAI puisse être une association, ou une PME de quartier, ou une coopérative. Qu'un FAI puisse vivre sans payer des Tunisiens à faire sa hotline, et sans avoir des abonnés mécontents par millions.</p><p>Si le PS était un peu à l'écoute de ce qui existe et de ce qui bouge dans le monde associatif, il aurait peut-être évité cette bourde.</p><p><em>Il ne me reste donc plus qu'à trouver l'adresse mail, s'il en a une, du président de conseil général en question. Une fois que j'aurais vérifié, et si ce que je crains est vrai, je pense que je vais lui demander des explications.</em></p>https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2006/06/16/La-vie-des-grands-fauves%2C-tome-4#comment-formhttps://edgard.fdn.fr/blog/index.php?feed/atom/comments/8La vie des grands fauves, tome 3urn:md5:168b7b39e36ac5be2fdee886f52e3d792006-03-30T17:21:00+02:002015-11-26T20:09:05+01:00Benjamin BayartTélécomsArcep<p>Pour ceux qui n'ont pas suivi l'actualité, hier après-midi, les actionnaires majoritaires de Numéricable (réunion de NC-Numéricable, France Télécom Cable, SEM-Cable et quelques autres bas morceaux) ont annoncé leur intention de racheter, avec l'accord du propriétaire, UPC-France (réunions d'UPC, de Chello, de Noos, et là encore probablement aussi quelques petits bouts).</p><p>Ce n'est pas un rachat hostile, comme on a connu quelques uns ces derniers mois dans différents secteurs. C'est plus une vente de gré à gré, rien de bien violent là-dedans. Bien entendu, on retrouvera là les risques habituels de tous les gros rapprochements d'entreprise (c'est rarement pour salarier plus de personnel qu'ils se rapprochent, mais plus souvent pour dégager les doublons). Mais ce n'est pas mon propos.</p><p>Mon propos, comme c'est devenu l'usage dans cette série de billets, c'est d'essayer de comprendre un peu (et de décrypter pour les gens qui n'ont pas que ça à faire de tout analyser eux-mêmes) ce qui se passe dans le monde merveilleux et, la déesse Europe soit louée, ouvert à la concurrence des opérateurs de télécom.</p> <p>Donc, pour faire simple; l'infrastructure du câble en France, toutes villes confondues, est (sauf erreur ou omission) entre les mains d'une seule et unique entreprise.</p><p>Pour le moment, l'ARCEP semble dormir paisiblement sur ses deux oreilles. C'est pas comme si une infrastructure physique nationale unique (en câble coaxial plutôt qu'en paire de cuivre torsadée téléphonique, mais c'est un détail technique accessoire, finalement) se retrouvait être la possession d'un unique actionnariat privé. Certains facétieux pourraient qualifier ça de situation monopolistique. Si c'était un monopole dans les télécommunications, l'ARCEP s'en serait mêlé. Si l'ARCEP dort, c'est simplement qu'il n'y a pas là matière à ce qu'elle s'inquiète.</p><p>Un peu comme la télédiffusion. On a vu dans ce secteur également se rapprocher le numéro 1 et le numéro 2 français (Canal Sat et TPS, dans cet ordre là). Comme il n'y a pas vraiment de numéro 3 (AB Sat, ça existe encore?), ici aussi, des fâcheux pourraient croire qu'il y a un monopole de fait. Mais pas du tout. Les monopoles, c'est contrôlé par la DGCCRF pour le marché national, et par la Commission Européenne pour les marchés un peu plus grands.</p><p>Concurrence libre et non-faussée qu'ils disent...</p><p>Oui, on a bien vu. Non seulement la concurrence n'est pas une fin en soi, mais à l'extrême rigueur un moyen d'obtenir un effet escompté, mais en plus dans la pratique elle est assez illusoire.</p><p>En l'état actuel, rien ne laisse présager un futur « dégroupage du câble », sauf une éventuelle initiative du seul acteur du marché. Et visiblement nos régulateurs n'ont pas envie de s'en mêler. Qui a dit qu'ils ne servaient à rien, les régulateurs ?</p>https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2006/03/30/La-vie-des-grands-fauves%2C-tome-3#comment-formhttps://edgard.fdn.fr/blog/index.php?feed/atom/comments/7À propos d'Interneturn:md5:e50721ac1c0ac0d3e7bdbeef3b4285c52006-03-25T18:27:00+01:002015-11-26T20:56:23+01:00Benjamin BayartPolitique<p><em>Ce billet ne me plait qu'à moitié, parce que j'ai le sentiment qu'il n'est pas terminé. Il sera sans doute modifié de temps en temps, et agrémenté d'autres.</em></p><p>Une de mes activités les plus chronophages est d'être le président de <a href="http://www.fdn.fr">FDN</a>. FDN est une association loi 1901, qui est un des plus anciens fournisseurs d'accès en France, et un des rares à être encore en vie après autant de temps (l'association date d'avril 1992, l'année prochaine on fêtera les 15 ans). Ça m'a souvent amené à réfléchir sur ce qu'est Internet et où il va. Voilà quelques unes de ces réflexions.</p> <p>Beaucoup de gens commencent à prendre conscience du fait qu'Internet représente une opportunité de démocratie et de liberté de parole. À tel point que nos politiques font semblant de l'approuver, pour ne pas donner l'impression qu'ils sont dépassés par les évennements.</p><p>Cette opportunité de démocratie, et cette liberté de parole, sont à l'heure actuelle une vérité : chacun est convenablement libre de prendre la parole sur Internet, et un nombre croissant de citoyens s'en servent pour réfléchir sur des sujets politiques. La structure d'Internet est d'ailleurs telle que, n'ayant pas de centre névralgique, il est très difficile de censurer le contenu qui s'y trouve. En effet, s'il existe des millions (ou même des milliards) de serveurs, comment faire taire tous ceux qui tiennent des propos déplaisants ?</p><p>Mais les évolutions technico-financières qui ont accompagné le développement grand public d'Internet ont un impact fâcheux sur la structure du réseau. Il est conçu, sur le principe, complètement décentralisé. De nos jours, dans la pratique, il ne l'est plus. Ou il est en passe de ne plus l'être. Quand un petit nombre d'entreprises privées détiennent plusieurs centaines de millions de boîtes aux lettres (je pense ici à Google, Yahoo, Hotmail, etc), ce sont autant de voix qu'on peut filtrer, fliquer, et faire taire. C'est autant de correspondance privée qui est livrée à la merci d'organismes dont le but premier est la rentabilité plutôt que l'éthique.</p><p>De la même manière, l'immense majorité des blogs est hébergée par un nombre très restreint de structures. Comme les sites web d'ailleurs, la très vaste majorité est située chez des hébergeurs commerciaux dont l'éthique n'est pas la priorité : mettez dans la balance, d'un côté, le fait de préserver la liberté de parole d'un client aux opinions jugées subversives et, de l'autre côté, le fait de devoir se fâcher avec des représentants de l'ordre pas forcément accomodants. Un entrepreneur raisonnable, qui doit défendre son business, sans pour autant être un parfait salaud, va choisir de ne pas se fâcher avec les autorités. C'est logique. Il ne va pas compromettre son entreprise, les emplois de ses salariés, et ses bénéfices, pour les beaux yeux d'un client qu'il ne connait probablement pas.</p><p>À bien y réfléchir, la situation est encore plus caricaturale quand on parle de l'accès à Internet. Déjà, avant le développement massif d'ADSL, un vingtaines de fournisseurs d'accès regroupaient la presque totalité des internautes français. Mais avec l'arrivée de l'ADSL, ça s'accentue : France Télécom détient un monopole clair sur l'accès physique (le fil de cuivre du téléphone lui appartient), et en regroupant 6 entreprises on a la quasi-totalité des accès au réseau (Wanadoo, Free, NeufCegetel, Télé2, Alice, et Club-Internet). Si on épluche un peu le capital de ces entreprises, on se rend compte qu'il n'y a là-dedans rien qui ressemble de près ou de loin à des structures à taille humaine : rien que du grand groupe international, rien que du côté en bourse. Donc rien que de l'entreprise sans conscience et sans scrupule.</p><p>Le lecteur un peu informé me rétorquera qu'il existe des alternatives. Bien entendu. C'est dans le monde de l'hébergement de sites web que c'est le plus clair : il existe un bon nombre d'hébergeurs associatifs, de PMEs, de coopératives. Pour le mail, c'est un peu plus délicat à trouver, mais c'est encore possible. Par exemple en allant ouvrir un compte chez <a href="http://no-log.org">no-log</a>, ou en décidant qu'on fait plus confiance à La Poste qu'à Google (ce qui, dans mon cas, n'est pas clair, l'aspect service public de La Poste semblant des plus compromis).</p><p>Mais en matière d'accès Internet, il en va tout autrement. En septembre, FDN a lancé une offre d'accès ADSL, les gens qui lisent ce texte le savent sans doute. Ça n'offre pas des garanties myrifiques : FDN n'a pas les moyens de monter un réseau physique qui puisse tenir tête à ceux des grandes entreprises. Mais ça offre tout de même des garanties. Et surtout, ça participe d'un mouvement dans le bon sens : ça contribue à apporter un peu de diversité à un endroit où on en manque cruellement.</p><p>Il nous reste 5 opérateurs majeurs en France disposant d'un réseau physique (Télé2 n'a pas vraiment de réseau en propre), il y a fort à parier que dans quelques années il n'en restera que 3. Il reste en europe une petite trentaine d'opérateurs ayant un réseau physique, dont nombre des opérateurs historiques de chaque pays, il y a fort à parier qu'on tombe à une dizaine tout au plus dans quelques années. C'est une pente dangereuse, glissante. C'est le contraire de ce que devrait être Internet.</p><p>Mais cet état de fait n'est pas un hasard, et n'est pas le fruit du marché capitaliste. Si on s'état contenté de privatiser France Télécom, le marché n'aurait pas, de lui-même, créé ces quelques entreprises concurentes. La situation actuelle est bien le fait d'un marché régulé. La volonté du régulateur n'est pas toujours claire, quand on lit les textes. Par contre les actes, eux, sont limpides. Ils vont toujours dans le même sens : permettre à quelques entreprises de grande envergure de se disputer le marché, mais interdire aux petits d'émerger. L'état actuel est bien une solution <em>choisie</em> politiquement, et non subie. En fait, cela découle de la solution retenue pour la régulation.</p><p>D'autres solutions plus radicales auraient pu être envisagés par nos politiques lorsqu'ils ont décidé de l'ouverture du marché des télécoms à la concurrence libre et non-faussée, comme ils disent. Par exemple, il aurait pu être décidé d'interdire les trusts verticaux : interdiction de posséder le réseau physique d'accès et d'opérer les accès dessus.</p><p>Ce ne serait pas idéal, mais ce serait déjà mieux. On aurait sans doute des systèmes monopolistiques, ou de grands groupes, qui possèderaient le réseau physique, mais ils auraient interdiction de fournir de l'accès à Internet à partir de ces tuyaux.</p><p>Dans la situations actuelle, les trusts verticaux jouent un grand rôle. Plutôt que de chercher à les définir, on se contentera de regarder deux exemples :</p><ul><li class="item">France Télécom possède le réseau de cuivre, et fournit l'accès ADSL physique dessus, en concurrence avec ses clients NeufCegetel, Free, Alice et Club-Internet. On peut tourner et retourner le problème comme on veut, si l'ART arrête de surveiller France Télécom, cette concurrence va disparaître du jour au lendemain, parce qu'elle est artificielle. France Télécom arrêterait de louer son bien à ses concurents.</li><li class="item">De la même manière NeufCegetel fournit l'accès ADSL physique (en louant le fil de cuivre à France Télécom), mais aussi l'accès à Internet, en concurrence avec ses clients dont FDN, Nerim, Télé2, et d'autres. Ici, l'autorité ne régule pas, considérant qu'il n'y a pas lieu de le faire, parce que NeufCegetel n'est pas seul sur son marché. À deux ayant le monopole d'une ressource, il y a concurrence, c'est bien connu.</li></ul><p>Ce mélange des genres est très préjudiciable, il verrouille le marché, et le force à se concentrer dans les mains de quelques-uns : ceux qui sont ces trusts verticaux. Si on laissait faire le marché, en quelques mois tout ce beau monde disparaitrait au profit du seul France Télécom. Nos politiques ont choisi une politique de régulation : ils veulent qu'il y ait un semblant de concurrence. Disons 2 ou 3 opérateurs pour chaque pays. Ça permet de se donner bonne conscience, et on est certain de ne pas voir émerger trop de petits indépendants.</p><p>La forme de marché libre mais régulé qui a été retenue nous mène donc tout droit dans un monde dans lequel toute l'infrastructure d'Internet sera dans les mains de quelques grands groupes, avec tous les risques éthiques que cela comporte. Il faut bien revenir sur ce point : cette situation n'est <em>pas</em> le résultat du marché seul. Le marché seul aurait laissé perdurer le monopole. C'est le fruit d'une régulation. C'est donc, fondamentalement, un choix politique, un choix de société. Nos politiques ont choisi, par leurs actes, une société dans laquelle Internet, comme les autres médias, est le plus possible dans les mains de quelques grands groupes.</p><p>Cette position de nos dirigeants, même si elle n'est pas forcément conciente de leur part d'ailleurs, est facile à comprendre. Ça correspond au schéma dont ils ont l'habitude. Ils essayent de reproduire le modèle de la presse, avec quelques points de contrôle facilement identifiables (des patrons de journaux dans un cas, des patrons d'opérateurs dans l'autre). Attendre d'eux qu'ils changent d'avis, et que donc ils modifient la régulation pour créer un marché très ouvert en interdisant les trusts verticaux, ça relève de l'utopie. Ça revient à attendre qu'ils fassent une révolution culturelle. L'expérience montre qu'en matière d'évolution des modes de pensée, ils seraient plus volontier suiveurs.</p><p>Il est souhaitable que l'avenir d'Internet soit de se re-diversifier, ce serait la seule bonne garantie de la liberté de parole sur le réseau, mais tout laisse présager que les mouvements de concentration vont se continuer.</p><p>Reste donc à chercher comment cette évolution peut avoir lieu pour qu'elle puisse par la suite aller influencer l'organisation de notre société numérique. Une des approches possibles est de décider de résister avec les moyens du bord : c'est l'approche qui consiste à essayer de faire tourner FDN contre vents et marrées. Celle qui consiste, alors que la structure n'est pas encore rentable, à pousser autant que faire se peut à la création de structures similaires dans d'autres pays d'Europe. Après tout, c'est ce que font les gens qui s'intéressent au même type de problème dans la production agricole, et c'est assez voisin de ce que font les gens du logiciel libre.</p><p>Il n'y a pas de solution miracle, pas de remède simple. La seule chose que chacun puisse faire est de chercher à prendre son indépendance vis-à-vis de ces structures. Bien entendu, au premier chef, ceux qui ont des choses à dire qui risqueraient de déranger. Mais aussi ceux qui pour le moment n'ont pas grand chose à dire, mais tiennent à conserver leur liberté de parole pour l'avenir. Pour garder son indépendance, c'est relativement simple, sur le principe : s'adresser aux petites structures plutôt qu'aux grands groupes.</p><p>Dans la pratique, ce n'est pas forcément aussi évident. Si les 8 millions d'abonnés au haut débit en France deviennent adhérent de FDN, ce ne sera plus une petite structure. Si les millions de pages perso qui sont chez Free passent chez <a href="http://lautre.net">L'autre.net</a>, ce ne sera plus une petite structure non plus. Il faut donc une démarche un peu plus militante de la part de certains : une fois que les structures existantes auront atteint une taille raisonnable qui garanti leur stabilité et leur éthique, il sera temps de monter d'autres structures, similaires ou approchantes. On n'en est clairement pas là cependant.</p><p>La nécessité d'avoir un réseau Internet éthique relève du même mode de pensée que de chercher à éviter la mal-bouffe : le seul critère de rentabilité, qui est celui des grosses entreprises, n'apporte pas les garanties suffisantes en matière d'éthique. Qu'on ne se trompe pas : les problèmes sont très différents. Dans un cas on parle plutôt de santé publique, dans l'autre on parle de liberté d'expression. Mais si on regarde l'organisation économique qui engendre ces deux problèmes, et qu'on cherche comment les prévenir, on tombe sur des solution très similaires.</p>https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2006/03/25/%C3%80-propos-d-Internet#comment-formhttps://edgard.fdn.fr/blog/index.php?feed/atom/comments/17La vie des grands fauves, tome 2urn:md5:aadd0a9b5740ea74fe83a15a56684bda2006-03-25T16:25:00+01:002015-11-26T12:00:07+01:00Benjamin BayartTélécomsArcep<p>Dans les petits plaisir de la vie de tous les jours, quand on essaye d'être un opérateur associatif, il y a les relations avec les différents incontournables. Aujourd'hui, la déclaration auprès de l'ARCEP en tant qu'opérateur de réseau et/ou de services de télécommunications.</p><p><em>Ce billet est destiné à évoluer régulièrement, au fur et à mesure des déboires rencontrés dans la déclaration de FDN auprès de l'ARCEP. Il fera l'objet de tomes suivants, ou de modifications, selon le cas.</em></p> <p>Premier ecceuil, l'ARCEP, organisme public d'état, propose les formulaires à remplir sur Internet, ce qui semble de bon goût pour un organisme qui est sensé réguler le monde des communications électroniques (et postales). Le formulaire de déclaration d'un opérateur est un fichier Word. Il n'est pas proposé d'autre solution : on ne peut pas demander à recevoir le formulaire en papier, il n'est pas disponible en PDF, il n'est pas disponible en OpenDoc. L'ARCEP suppose donc que pour pouvoir être un opérateur de télécommunication, il faut disposer impérativement et évidemment de MSWindows et de MSWord. Le document passe relativement mal sur OpenOffice. Tellement mal qu'il a fallu 3 ou 4 plantages d'OpenOffice pour réussir à remplir le formulaire en s'y prenant en plusieurs fois.</p><p>Ça montre, s'il en était besoin, que l'ARCEP, autorité nationale de régulation d'un service essentiel qui n'est soumis à la concurence qu'à la force du poignet, méconnait les principes que l'État essaye, avec difficulté et sans conviction, de faire avancer : l'indépendance sur le plan informatique. En effet, bon nombre d'administrations, y compris les assedic et un grand nombre de mairies, fournissent de plus en plus leurs documents dans des formats ouverts. Il semble que ce genre de pratique devrait être une base pour un régulateur. Par définition, un régulateur devrait être neutre. Il ne doit pas supposer que les gens utilisent une technologie plutôt qu'une autre, tant que ça n'entre pas en conflit avec la régulation qu'il assume.</p><p>Comme ce qu'il régule, ce ne sont pas les logiciels de bureautique, et comme il n'a pas pour mission de permettre à Microsoft de ne pas souffrir d'un concurrence déloyale, on comprend mal pourquoi les formulaires sont mis à disposition dans un format propriétaire (probablement breveté dans les endroits du monde où c'est autorisé). Bref, on pourrait croire que ça dénote un certain manque d'éthique, alors que ça dénote uniquement un manque de compétences techniques : il y a fort à parier que le responsable qui a décidé de la mise en ligne du document est convaincu que du mail ça se lit forcément avec Outlook, et qu'un texte ça s'écrit forcément avec MSWord. Ça donne une bonne idée de la vision que cette personne là (sans préjuge de l'organisme lui-même) à de la libre concurrence, en matière de logiciels pour cet exemple-là.</p><p>Un détail amusant : quand on lit le long document qui explique, dans un jargon juridique peu clair pour un néophyte, quel type d'opérateur doit déclarer quoi, on peut être agréablement surpris de trouver un lien vers un document en PDF. Mais la surprise est de courte durée : ce formulaire n'est <em>plus</em> valable, il est plus ancien que celui, en format MSWord, qui est en annexe à la fin du même texte.</p><p>Il faut tout de même noter que la majorité des documents présentés sur le site de l'ARCEP sont dans des formats moins hostiles, essentiellement du PDF et du HTML.</p>https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2006/03/25/La-vie-des-grands-fauves%2C-tome-2#comment-formhttps://edgard.fdn.fr/blog/index.php?feed/atom/comments/6La vie des grands fauves, tome 1urn:md5:97b56d117852d5bbf2b7ae5f6e0a592e2006-03-25T16:21:00+01:002015-11-26T11:54:36+01:00Benjamin BayartTélécomsArcep<p>Comme je m'ennuyais un peu ce matin, je suis allé lire (enfin, survoler) les offres de référence de France Télécom en matière de dégroupage ADSL. Ce sont ces offres qui définissent le fonctionnement, et la tarification, du dégroupage entre FT et un opérateur. Ces offres sont présentées par France Télécom à l'ARCEP (Autorité de Régulation des Communications Électroniques et Postales) qui les valide. Normalement, l'ARCEP veille à ce qu'il n'y ait pas de distorsion de concurrence. L'institution d'une telle autorité est prévue par les textes européens, pour vérifier que la libre concurrence est effective dans les États Membres de l'Union.</p><p>À la lecture de ces offres de référence, on constate en effet qu'il n'y a pas de distorsion de la concurrence. Les multi-nationales sont a égalité entre elles, et les autres sont hors course. Les textes européens précisent qu'il doit y avoir égalité indépendament de la taille des opérateurs, visiblement l'ARCEP en a fait une lecture pour le moins partielle (voire partiale).</p> <p>Quelques exemples chiffrés, pour se faire une idée. On appliquera ces chiffres à 3 tailles d'opérateurs : 10 lignes (type FDN), 1000 lignes (type Nerim ou NetPratique), 100.000 lignes (type NeufCegetel ou Télé2).</p><p>Si on s'intéresse au contrat de collecte ADSL en IP, qui est le contrat typique pour établir de la collecte nationale, les coûts sont répartis en gros en deux catégories. La première partie est un coût par accès, correspondant soit à la construction d'une ligne ADSL, soit à la location de cette ligne tous les mois. Pour cette première partie. le prix est bien par ligne, qu'on en prenne 10 ou 100.000 ne change rien. La deuxième partie est le prix de la bande passante. Là encore, ça se décompose en deux. D'abord le tuyau qui raccorde l'opérateur à France Télécom, puis la bande passante consommée sur ce tuyau.</p><p>Attention, je n'étudie ici qu'une partie de la structure tarifaire de l'offre. L'offre est assez complexe, et elle impose des coûts à pas mal d'endroits différents, de telle sorte qu'il est très difficile de synthétiser le tout. Les autres postes de coûts sont souvent répartis d'une manière très similaire, avec le même type de disparité : des frais fixes hallucinants qui empêchent les petits de s'établir.</p><p>Le tuyau coûte à l'installation, puis tous les mois, en fonction du débit maximal qu'il peut supporter. La bande passante consommée, elle, coûte en fonction du nombre de Mb/s consommés, le tarif étant dégressif avec le volume (il part de 313 €HT et descend jusqu'à 247 €HT pour les très gros volumes). Les statistiques indiquent que, en moyenne, un abonné ADSL consomme à peu près 30 kb/s, cette moyenne étant vraie pour les gros volumes. Pour les petits volumes, on constate souvent des moyennes plus variables, et souvent plus hautes.</p><p>Notre opérateur à 10 lignes va donc prendre le tuyau le plus petit possible, celui qui ne peut pas supporter plus de 10 Mb/s. En effet, 10 lignes, ça fait 300 kb/s, mettons 500 en comptant large, soit 0,5 Mb/s. Il lui en coûtera 4000 €HT pour faire construire le tuyau, et 1000 €HT par mois pour le faire entretenir. Là dessus, il paiera sa bande passante consommée 313 €HT, puisqu'il ne dépassera probablement pas le premier Mb/s. Il lui en coûte donc, par ligne, 400 €HT d'investissement, et 131,3 €HT de rente mensuelle pour la ligne. À noter que si cet opérateur veut vendre un accès ADSL 2+, disons du 18 Mb/s, jamais, à aucun moment, son client ne pourra atteindre ce débit : le tuyau de collecte global est limité à 10. Passons sur ce détail.</p><p>À retenir : 10 lignes, 400 et 131,3.</p><p>Notre opérateur à 1.000 lignes devrait avoir besoin de 30 Mb/s. Les tailles de tuyaux possibles sont de 10, 30, 60, etc. Il serait fou de prendre 30 (il serait saturé), il prendra donc un tuyau à 60 Mb/s. Il lui en coûtera 5000 €HT de faire construire le tuyau, puis 3500 €HT par mois de le faire entretenir. Il paiera sa bande passante 313 €HT pour les 10 premiers Mb/s, puis 295 pour les 20 suivants (puis 281 au-delà, mais il s'arrête à 30). Pour les 30 Mb/s qu'il va consommer, il paiera donc 313×10+295×20, soit 9030 €HT par mois. L'ensemble de son tuyau lui coûte donc 9030+3500, soit 12.530 € par mois. Il lui en coûte donc, par ligne, 5 €HT d'investissement, et 12,53 €HT de rente mensuelle.</p><p>À retenir : 1.000 lignes, 5 et 12,53.</p><p>Notre opérateur à 100.000 lignes, lui, devrait avoir besoin de 3 Gb/s (soit 3.000 Mb/s). Dans les tailles de tuyau possible, il a le choix entre 2, 3 et 4 Gb/s. Il prendra certainement 4. Il lui en coûtera 25.000 €HT de faire construire le tuyau, puis 36.000 €HT par mois de le faire entretenir. Pour la bande passante, ça donne ça : 313×10 + 295×20 + 281×50 + 267×70 + 257×150 + 247×2700. Soit un total de 3130 + 7900 + 14.050 + 18.690 + 38.550 + 666.900, soit 749.200 €HT par mois. Soit un coût total mensuel de 785.200 €HT. Ça donne donc, par ligne, 0,25 €HT d'investissement et 7,85 €HT de rente mensuelle.</p><p>À retenir : 100.000 lignes, 0,25 et 7,85.</p><p>Après mûre réflexion, l'ARCEP arrive à la conclusion que la concurrence est libre et non faussée, et que conformément aux textes européens, la taille de l'opérateur n'influe pas sérieusement.</p><p>Étonnant, non?</p>https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2006/03/25/La-vie-des-grands-fauves%2C-tome-1#comment-formhttps://edgard.fdn.fr/blog/index.php?feed/atom/comments/5Inaugurationurn:md5:baf9e4aab9a0e5dacceef30355b2a35e2006-01-23T17:31:00+01:002016-08-17T16:26:45+02:00Benjamin Bayart <p>Voilà, ça fait un bon moment que j'avais envie, moi aussi, d'aller raconter quelques trucs par écrit sur Internet. Pas seulement donner des infos sur les projets auxquels je participe, je voulais aussi dire du mal quand y'a besoin.</p><p>Le vocable improprement utilisé pour ça, en cette saison, est blog. Ce qui n'est pas tout à faire juste. Un web-log, c'est un journal, au sens journal de bord ou journal intime; pas au sens journal d'opinion. La page qui liste, au jour le jour, mes travaux sur le JMPL, c'est un blog: le journal de bord du JMPL.</p><p>Par contre, ça, ce n'est pas un blog au sens strict, ça ne raconte pas ma vie, ni même mes activités au jour le jour. C'est plutôt une chronique, un billet d'humeur. Mon avis sur un peu tout et n'importe quoi. Probablement des sujets d'actualité, mais aussi des sujets pas forcément très actuels, mais qui m'ont inspiré quelque chose.</p><p>Dans l'acception actuelle du terme, blog recouvre un peu tout et n'importe quoi, depuis le journal intime de l'adolescent qui a besoin de dire tout le mal qu'il pense de ses profs ou du menu de la cantine, jusqu'à l'expression des hommes politiques, avec photo en cravate et appel à voter, qu'on devrait normalement rapprocher de la propagande et/ou de la publicité.</p><p>Cette chronique est donc intitulée, pour le moment <b>Oui, et alors?</b>. Ça m'a semblé bien sur le moment, comme titre.</p><p>Pour les gens qui se posent des questions métaphysique, j'ai choisi d'utiliser <tt>blosxom</tt> parce que cet outil m'a semblé en bon accord avec mes habitudes: c'est en perl, tout est stocké dans des fichiers textes compréhensibles, écrire un billet, c'est écrire un fichier texte, ce qui me va bien. Finalement, si j'avais du écrire mon propre outil, il aurait certainement ressemblé à celui-là.</p>https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2006/01/23/Inauguration#comment-formhttps://edgard.fdn.fr/blog/index.php?feed/atom/comments/10