Notice

Je sais que ce texte peut être mal pris. J'ai déjà certaines des critiques dans l'oreille.

Il est encore en train de nous crier dessus. Non, vraiment pas. C'est bien pour ça que je n'ai rien publié sur ce sujet depuis des mois, pas directement au moins. Mais il me semble nécessaire de dire pourquoi l'AG de l'an dernier me laisse autant de colère, il me semble nécessaire de laisser aux participants involontaires une chance de comprendre ce qui s'est passé.

Ça va être pareil encore cette année. Je ne crois pas. Ayant fait le travail pour comprendre, ayant été jusqu'à vous l'expliquer, il n'y a aucune chance que ça se reproduise. Pas de mon côté du moins. Que d'autres craquent, dans un environnement associatif c'est toujours un risque. On saura peut-être le gérer un peu moins mal.

Je me suis longuement demandé, depuis un mois, s'il fallait retarder la publication de ce texte, attendre que la prochaine AG soit terminée. Et au final, il me semble que non. Il me semble que ceux qui étaient là, et qui n'ont rien compris à ce qui s'est passé, seront moins frileux dans leur engagement associatif après quelques explications. En tous cas ils méritent ces explications.

Il est aussi possible que ce récit finisse de me fâcher avec certains. Tant pis. Ce serait triste. Mais j'en ai assez de toujours me taire pour ne fâcher personne.

Il était une fois...

L'assemblée générale de la Fédération FDN, mai 2016, pas loin de Grenoble. C'est un événement chouette, plutôt festif, tout un groupe, amical, qui se retrouve façon colonies de vacances pour geek. Si on avait été en forêt, il y aurait eu un feu de bois, et sans doute quelqu'un aurait sorti une guitare, voyez. On aurait chanté le Gorille de Brassens, ou peut-être même du Cabrel, qui sait.

Ah, les jolies colonies de vacances !

Mais voilà, je n'allais pas bien. Pour plein de raisons, j'étais en mauvais état, déprimé, angoissé. Rien qui soit en lien de manière directe avec les buts associatifs de nos rencontres. Et puis... Et puis il se trouve que j'aime pas les colonies de vacances...

Pardon, c'est un euphémisme. Je vous reformule ça. C'est le seul que je vais reformuler. Il faut bien tout de même que je vous laisse des indices, que j'essaye de rendre explicite. Et puis que vous compreniez que j'ai souvent une façon très douce de dire les choses, d'utiliser des mots précis et posés, même quand j'encaisse de manière brutale. Donc, j'aime pas les colonies de vacances...

J'ai une horreur absolue de tout ce qui peut ressembler de près ou de loin à des colonies de vacances. Je ne sais pas bien quel traumatisme ça réveille chez moi, mais j'en ai horreur, et c'est quelque chose de puissant.

J'ai des tas de petits automatismes, assez simples, pour m'en protéger, pour atténuer le malaise et faire en sorte que ça puisse se passer assez gentiment. Je reste à l'écart, je vais me planquer dans un coin calme pour lire, je fuis souvent le groupe pour me réfugier en cuisine[1]. Pour tout un tas de raisons, ces mécanismes ont été mis en échec, mis en défaut.

Mise en échec

Je vous raconte un exemple. Dîner, le premier soir. L'estomac noué je suis assis à plusieurs mètres des dîneurs, c'est le maximum de sociabilisation dont je suis capable, pas dans le groupe, mais pas ailleurs. Je tremble sans doute un peu, ça ne se voit pas, j'essaye de faire ressortir du flegme au lieu de laisser passer du stress, presque somnoler, pour garder la tension sous contrôle. À la fin du repas, façon Gentil Organisateur du club med' quelqu'un lance un tour de parole où tout le monde dit qui il est, ce qu'il est venu faire, etc. C'est beaucoup trop pour moi, je me lève, je vais en cuisine, faire la vaisselle. Parce que, c'est cool faire la vaisselle, une activité sympa, sans le groupe. Et puis, un qui se croit plus gentil que les autres, rapportant les reliefs du repas en cuisine, me dit que je devrais venir me présenter comme tout le monde, parce que le tour de parole se termine. Je rechigne. Je grogne. Mais on me pousse. Alors je viens. Je dis trois mots, un peu agressifs, genre Benjamin, vieux con des Internets[2]. Faut vraiment que je me présente ?. Et puis je repars, tout de suite.

Le même récit, d'un œil extérieur[3]. Benjamin, gourou-star du groupe, ne se mêle pas à la plèbe, il ne va tout de même pas dîner avec la piétaille, il regarde le troupeau manger de l’œil du berger circonspect. Quand commence une activité sociale sympa, par mépris du groupe sans doute, il s'en va. Il ne va pas perdre son temps à écouter parler les cons. Quand il revient, à la fin, n'ayant écouté personne, pour se présenter en quelques mots, c'est arrogant, méprisant, et d'ailleurs il ne reste pas.

Si tu étais à cette AG, tu as vu la deuxième scène. Moi, j'ai vécu la première. On ne risquait pas de se comprendre.

Ça, c'est un mécanisme de protection. L'activité de groupe en cours me fait peur, me met mal à l'aise. Alors je m'éloigne du groupe, je m'en isole. Et quelqu'un, qui n'était animé d'aucune mauvaise intention, est venu me chercher pour me replonger dans l'activité de groupe que je voulais fuir. Il a mis en échec un outil qui me sert à me protéger. Pendant les quelques semaines qui précédaient cette AG, et tout particulièrement les jours précédents, tout avait été comme ça. Tous ces petits automatismes qui me protègent avaient été mis en échec. Mais rien que par des gens gentils, hein. Qui ne m'écoutent pas quand je dis que je ne veux pas, mais qui avec beaucoup de gentillesse vont me tordre gentiment le bras pour m'amener à une situation dont je n'ai pas envie, et dont je suis incapable d'expliquer pourquoi je n'en ai pas envie.

Péter les plombs

Le même soir, quelques heures après, je craque. Je suis face à un groupe, privé de mes éléments de défense habituels. Tu vois le cauchemar où, enfant, tu arrives en classe, nu ? Ça pourrait ressembler à ça, mais en pire. Au lieu d'une discussion que j'aurais voulu calme et posée, je m'emporte. Sans aucune raison valable, à part que je suis hyper tendu.

Je me sens proie, face à une meute, sans aucune porte de sortie, sans aucune position de repli, sans aucune protection. Les gens qui sont là n'y sont pour rien, ils n'ont rien fait. Ils sont là, je suis sans défense, et ça réveille des vieilles paniques chez moi. Si sur le moment j'avais dû expliquer, je n'aurais pas pu. Ils ne comprennent pas, mais je leur crie dessus, sans raison.

Et à la fin j'explose, je leur dis de tous aller se faire mettre, et je me tire.

Si tu étais là, tu m'as vu hurler sur des gens qui n'ont rien fait, sans raison. Moi, j'ai paniqué face au réveil de vieux démons. Nous ne pouvions pas nous comprendre.

Et c'est après ce long préambule qu'on peut discuter

Ces 4 jours, je les ai vécus comme séquestré, dans un lieu pour moi hostile, entouré d'un groupe que je savais gentil, mais que je sentais comme hostile, qui me faisait peur, qui réveillait chez moi des choses que je ne sais pas bien expliquer, mais qui relèvent de la panique. Et je ne pouvais pas partir. Aucun moyen de partir pour de vrai, et de toute façon il fallait que je sois là pour l'AG formelle. Bref, séquestré.

Un bénévole qui craque, dans le milieu associatif, on en croise. Pas tous les jours, mais souvent. Ça peut donner des cris, ça peut donner une crise de larmes, ça peut donner un peu n'importe quoi. En général, il y a un(e) proche qui va réconforter, tenir par les épaules, apaiser, et puis quand celui ou celle qui a craqué revient, il y a plein de regards assez doux, inquiets, espérant que ça va mieux sans oser demander. Qui disent du bout des yeux Je n'ose pas venir te consoler, mais j'espère que ça va aller mieux pour toi.

Moi, je n'ai pas eu droit à ça. Enfin si, la première partie. Quand tout le groupe en était à se dire que le gourou-star venait de les insulter, mais que personne ne s'est soucié de pourquoi ou de comment j'allais, elle s'est levée, et elle est venue. Tout de suite. Parce que c'était évident pour elle qu'il y avait un souci. Elle s'est levée et elle a fait les quelques mètres pour s'asseoir à côté de moi qui tremblais comme une feuille[4]. Merci Oriane.

J'ai eu droit, pendant les 3 jours qui restaient, à des surprises. Mauvaises.

Les réactions

Il y a les gens qui me reprochaient d'avoir craqué. C'est quand même la grande classe, je trouve. Tu vois un mec qui va pas bien, qui explose en vol, et... Et tu vas lui faire des reproches. Change rien.

Il y a des gens qui n'ont simplement rien vu, ou qui ont soigneusement regardé ailleurs. C'était la partie la plus agréable pour moi, ça. Voir que les activités normales avaient lieu, que ça geekait paisiblement, que des choses utiles se produisaient de manière normale, prouvant bien que je ne suis en rien indispensable à tout ce machin. La réunion du groupe de travail des trésoriers le vendredi matin était par exemple un pur moment de calme et de bonheur.

Il y a les gens qui venaient discuter, de problèmes de fédération, de questions de droit des télécoms. C'était bien le sujet des 4 jours, ils ont bon. Jamais la discussion n'a commencé par J'espère que ça va. Aucun n'a eu l'idée de me demander si j'étais en état. Aucun n'a eu l'idée de me proposer de l'aide. Toujours la même méthode, la même approche. Ah Benjamin! Tu ne sembles pas occupé, tout seul dans ton coin. Ça tombe bien je voulais te parler de.... Oriane, qui a passé le plus clair de ces 3 jours à essayer de m'aider, y assistait, le plus souvent. On en discutait, elle et moi, une fois l'importun parti. Elle m'expliquait que quand même, normalement, on prend soin d'un bénévole qui craque. Mais voilà. On constatait que tous ces gens, vieux routiers du monde militant et associatif, ils ne faisaient pas ce qu'on fait en temps normal. Parce que, moi, je ne suis pas un bénévole. Moi, je suis le Président. Je ne suis plus une personne, je suis un utilitaire. Si je craque, alors que j'aurais dû parler de régulation du marché des fourreaux télécoms, ou d'organisation des groupes de travail, je suis en faute.

Il y avait des amis, dans tout ce beau monde. Sur les 80 personnes qui étaient là, il y en a plus d'une vingtaine qui étaient des amis, supposément proches. Aucun. Aucun n'est venu s'inquiéter de mon état. Je force un peu, mais à peine, le trait. Certains sont venus dire des choses, sans brutalité. Prenant mon emportement du premier soir au premier degré par exemple, me disant que le propos de ce soir là pouvait se tenir calmement. Beh oui, il pouvait, mais j'ai craqué quoi... Ou venant me parler de la pluie et du beau temps, des paysages alentours, peut-être une façon toute en pudeur de vouloir me changer les idées. Ou prenant ma défense en AG, quand les autres se montraient anormalement violents. Mais il n'est venu à l'idée de personne de venir s'informer de mon état, ou de me réconforter. Aucun n'est venu poser la moindre question sur comment j'allais.

Je ne sais pas trop comment appeler ceux qui se sont adressé à moi pendant ces jours-là comme on s'adresse à une chose, sans aucun souci de la personne qui est derrière la fonction. Dans ma tête, c'est une espèce de conséquence du côté gourou, ils sont une espèce de variante du fanboy. Ils me voient sans humanité. Ceux qui étaient des amis sont maintenant rangés beaucoup plus bas dans mon estime. Je ne leur en veux pas. Il n'y a pas de méchanceté chez eux. Mais je n'attends pas d'humanité de leur part, parce qu'ils ne cherchent pas à en voir chez moi. J'avais tort de les croire mes amis. Ils avaient tort de se prétendre tels. Ce malentendu étant dissipé, on peut reprendre une activité normale.

Et puis y'a les autres. Ceux que la situation a préoccupé. Pas mon état, non, ça, ça leur convenait visiblement assez bien. Ce qui leur faisait peur, à ces si chers amis préoccupés, c'était de savoir si j'allais continuer à être Président[5], ou s'il faudrait que quelqu'un se dévoue pour reprendre le boulot à ma place. Ils semblent avoir passé des heures à en discuter, à se réunir. Et pas un n'est venu me voir... Ah si. Un. Pour m'engueuler. Me reprocher d'avoir craqué. Exiger des excuses. Et me demander si je comptais quand même me présenter à la présidence[6]. Il a semblé surpris que je le prenne mal. Et il a semblé surpris que je refuse de m'excuser.

Je peux comprendre cette incompréhension. Il m'a vu hurler sans raison sur des gens qui ne m'ont rien fait. Il s'attend à ce que je m'excuse. C'est légitime. Moi j'ai vu mes amis, y compris les plus proches, m'abandonner alors que j'allais très mal, fracassé. J'ai vu mes amis qui avaient comme seul souci urgent de trouver le meilleur moyen de ne pas avoir à sortir les mains de leurs poches, et qui avaient très peur que je refuse de continuer à travailler, tétanisés à l'idée de devoir assumer la responsabilité. Je comprends qu'ils veuillent des excuses. Moi, le mot qui me vient quand j'y repense, c'est qu'ils se sont comportés comme des raclures[7].

Notes

[1] Je faisais déjà ça, quand j'allais en colonie quand j'étais môme, je filais me réfugier en cuisine bavarder avec le cuistot, ou à la lingerie, ou en fait dans toutes ces parties du lieu où le groupe ne va pas, pour passer un peu de temps calme.

[2] C'est le texte de ma bio touitteur. C'est tout ce qui me vient sur le moment. J'ai la tête vide, et j'ai pas envie.

[3] Je n'invente pas, hein. C'est presque mot à mot le récit qu'un ami m'a fait du même épisode.

[4] Les hasards de la vie... Pendant que je ruminais ce texte, Oriane a eu l'occasion de me ramasser, en larmes, après une cuite comme rarement. Et du coup, elle a fait un récit de ces deux fois où elle est venue ramasser du Benjamin en mauvais état. On ne s'est pas concertés, pour écrire. Je sais, vous ne le croirez pas. Son récit est là. Je vous invite à la lire, il donne un bon contre-point à ce texte.

[5] J'ai eu une explication officielle sur ce sujet. Leur interprétation était que j'avais craqué, consciemment ou non, parce que je ne voulais plus du poste, et qu'il fallait donc pour mon bien, me remplacer, sans me demander mon avis. Ça ne pouvait être qu'un problème lié à la fonction, certainement pas une question humaine. Et il ne leur a pas traversé l'esprit de venir m'en parler. C'est bien pratique comme posture, ça permet de décider dans mon dos, sans mon avis, mais en se donnant bonne conscience.

[6] Oui, la question s'était posée. C'est que quand on est déprimé ce genre de question se pose. J'en avais parlé avec lui. Et la décision avait été tranchée plusieurs mois avant. Oui, j'allais continuer. Il semblait surpris que je n'ai pas changé d'avis.

[7] D'après le dictionnaire. Raclure : Injure grossière que l'on adresse à une personne considérée comme méprisable.