Oui, et alors ? - PolitiqueEn vrac, tout ce qui me passe par la tête. J'essaye de ranger, mais pas toujours.2024-03-28T23:54:25+01:00urn:md5:f11ddf38415bb1585210f5b4b16563d5DotclearLimiter le chiffrementurn:md5:ce47a338289f3a64f68f44807fa0b3602016-08-12T12:33:00+02:002016-08-17T17:10:50+02:00Benjamin BayartPolitique<p>Notre estimé ministre de la police fait encore parler de lui dans les internets. Cette fois-ci, il se propose de limiter, on ne sait pas encore très bien comment, le chiffrement des communications. <a href="http://www.nextinpact.com/news/100969-la-france-veut-lancer-initiative-internationale-contre-chiffrement.htm" hreflang="fr" title="Next Inpact">Next Inpact en parle</a>, pour les gens qui n'ont pas suivi. Petit retour, non pas sur l'idée elle-même (elle est idiote), ni sur le chiffrement (il est devenu nécessaire), mais sur les analyses que je vois fleurir sur les réseaux.</p> <h3>En vrac sur le fond</h3>
<p>J'ai pas envie de développer, vous savez sans doute déjà tout ça :</p>
<ul>
<li>le chiffrement est nécessaire, pour avoir un tout petit peu de vie privée, c'est un pilier des démocraties occidentales, c'est une caractéristique des régimes totalitaires que de nier aux gens le droit d'avoir une correspondance privée ;</li>
<li>le chiffrement qui ne soit pas de bout en bout ne sert à rien, sauf à faire un peu de décoration (l'espionnage a lieu sur les serveurs, si ce n'est pas chiffré de bout en bout, alors c'est en clair sur les serveurs) ;</li>
<li>interdire le chiffrement ne gênera pas les terroristes qui voudront s'en servir (ils font terrorisme comme crime, l'amende pour utilisation d'une application interdite, ils s'en branlent) ;</li>
<li>ça donnera à quiconque sait installer une application de chiffrement de bout en bout un très haut taux de reconnaissance sociale dans les milieux qui rejettent la société actuelle, un peu comme le premier passage par la prison est valorisé chez les délinquants, dans l'idée ;</li>
<li>la supposée interdiction sera donc simplement un accord avec les entreprises qui développent les applications les plus connues pour que ces applications stockent des copies accessibles aux policiers, du coup tous les espions du monde pourront tranquillement faire de l'espionnage économique<sup>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/08/12/Limiter-le-chiffrement#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup>.</li>
</ul>
<h3>Il est incompétent</h3>
<p>Les termes utilisés par les commentateurs vont de <q>illettrisme numérique</q> à <q>ignorance crasse</q>, parfois avec des variantes plus fleuries. Tous se trompent sur cet aspect-là.</p>
<p>S'il est bien entendu probable que M. Cazeneuve soit assez ignorant de quoi que ce soit touchant aux techniques numériques, au chiffrement, à la programmation, au réseau, ou aux outils de communication moderne, il est ministre. Et pas sur un petit ministère. Il est à la tête d'un ministère, qui compte plusieurs grandes directions. Toute cette administration regorge de gens compétents. Oh, pas tous, il doit bien y avoir deux ou trois médiocres ici ou là. Mais il a des gens très brillants dans le lot. Du polytechnicien, de l'énarque, les gens brillants ne manquent pas dans la haute fonction publique.</p>
<p>Certaines de ces administrations, côté ministère de l'intérieur, ou côté ministère de la défense, sont spécialisées dans les questions de sécurité informatique (on dit cyber-défense digitale de nos jours, mais qu'importe). Là aussi, on trouve des gens brillants, et qui en plus sont spécialisés sur le sujet. D'ailleurs ils se sont exprimés. L'agence nationale de sécurité des systèmes d'information (ANSSI) a dit, par écrit, dans une note publiée, que c'était une ânerie de vouloir affaiblir le chiffrement, et que ça allait affaiblir la sécurité au lieu de la renforcer.</p>
<p>Ne croyez donc pas qu'ils soient incompétents. C'est faux. Ils sont compétents. Ils sont entourés de gens brillants. Ils ont été avertis, par les bonnes personnes, qu'il ne fallait pas faire ça. Et ils le font quand-même.</p>
<p>Toute analyse qui s'appuie sur l'idée que nos ministres sont idiots est invalide. Toute analyse qui s'appuie sur le fait qu'ils soient incompétents, ou mal informés, cherche à leur trouver une excuse qui n'est pas la bonne.</p>
<h3>Mais alors...</h3>
<p>Alors l'analyse est plus compliquée à poser. Je ne vais aborder ici que quelques pistes, parce que ce n'est pas tellement mon sujet.</p>
<p>Le premier angle est de considérer qu'ils sont "fous". C'est un peu délicat à détecter, parce qu'ils ne portent pas un entonnoir sur la tête. Mais le comportement de nos ministres, leurs déclarations, la rédaction de tout un tas de textes officiels (décrets, lois, arrêtés, etc), la logique sous-jacente. Tout ça ressemble beaucoup à un comportement de personnalité paranoïaque. C'est une première piste d'interprétation. Saturés qu'ils sont d'informations alarmantes, mises en contexte par des hauts fonctionnaires de police qui ont des envies totalitaires, nos dirigeants sont en train de devenir fous. Pas fous avec un entonnoir comme la caricature dans les bandes dessinées. Mais simplement ce qu'on appelle paranoïaque dans le langage commun<sup>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/08/12/Limiter-le-chiffrement#wiki-footnote-2" id="rev-wiki-footnote-2">2</a>]</sup>.</p>
<p>Incroyable ? Pas tellement. Nos dirigeants vivent dans une bulle. Depuis très longtemps, comme politiciens de métier, ils sont assez isolés du monde commun. Une fois ministres, ils sont complètement coupés de toute forme de réalité. Souvenez-vous, Balladur, en pleine campagne présidentielle, à 60 ans passés, qui découvrait que dans le métro il fait chaud. S'il avait mis le nez dehors, il aurait pu découvrir que l'eau ça mouille, aussi. Nos dirigeants sont coupés de tout, et sont alimentés en continu d'informations anxiogènes par des hauts fonctionnaires des services de police, parfois (souvent ?) avec des visées sécuritaires ou totalitaires, typiquement Alain Bauer et ses semblables. Ça peut suffire à perdre les pédales.</p>
<p>Le second angle est de considérer qu'ils ont peur. Oh, pas peur de mourir dans un attentat, ils ne sont pas visés. Abattre un chef d'État ou un ministre, ce n'est pas du terrorisme, c'est de la politique, nationale ou internationale, à l'ancienne (songez à Kennedy dans les années 60). Non. Ils ont peur qu'on leur reproche leur inaction. Ils ont peur qu'il y ait encore des attentats, et qu'on dise que c'est de leur faute. Alors il faut bien faire quelque chose. Inutile, dangereux, totalitaire, n'importe quoi, mais quelque chose. Avec ce raisonnement-là, que beaucoup de politiciens tiennent, ils devraient tenter la danse de la pluie, ou le sacrifice rituel<sup>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/08/12/Limiter-le-chiffrement#wiki-footnote-3" id="rev-wiki-footnote-3">3</a>]</sup>.</p>
<p>Le troisième angle est électoraliste. L'électorat est essentiellement âgé. La majorité des votants a plus de 55 ans en France<sup>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/08/12/Limiter-le-chiffrement#wiki-footnote-4" id="rev-wiki-footnote-4">4</a>]</sup>. Cet électorat, traditionnellement acquis à la droite, ne comprend pas grand chose au numérique et à Internet. Que la télévision raconte que les terroristes communiquent avec des applis de téléphone portable cryptées<sup>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/08/12/Limiter-le-chiffrement#wiki-footnote-5" id="rev-wiki-footnote-5">5</a>]</sup>, et les gens ont peur. Ils savent à peine ce qu'est une application. Ils ne perçoivent même pas qu'une appli de communication, ils en utilisent, pour envoyer des SMS. Ils ne perçoivent pas que le fait de chiffrer les communications est normal. Et nos dirigeants essayent de caresser ce bout d'électorat qui a peur dans le sens du poil, avec comme objectif premier que la télé en parle.</p>
<p>Brandir le tout sécuritaire, agiter les peurs et les haines, c'est une stratégie pour récolter les votes des gens qui ont peur. Et les vieux sont des gens qui ont peur, qui diffusent de la peur. Du monde moderne (donc on dit du mal d'Internet), des jeunes (donc on dit du mal des téléphones et de <a href="http://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/un-depute-veut-encadrer-pokemon-go-par-une-loi-848221.html" hreflang="fr" title="BFM">Pokémon Go</a><sup>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/08/12/Limiter-le-chiffrement#wiki-footnote-6" id="rev-wiki-footnote-6">6</a>]</sup>), de tout ce qui bouge plus vite qu'un chat empaillé.</p>
<p>Enfin, il reste l'angle d'analyse le plus raisonnable. Nos dirigeants veulent surveiller le peuple pour s'assurer de rester au pouvoir quoiqu'il advienne. Oh, pas forcément eux individuellement, mais leur caste. Eux, leurs camarades de promos, leurs semblables. Et pour faire passer la surveillance généralisée de la population, le plus efficace est d'agiter la peur des terroristes. Ensuite, il suffira de qualifier de terroriste tous les gens qui s'opposent à leur caste. Par exemple ceux qui embêtent le monde sur les histoires d'aéroports, alors que quand même, le patron de la boîte de BTP qui construit, c'est un pote.</p>
<p>Je vous laisse choisir l'analyse qui vous plaît le mieux, aucune ne prétend être exacte ou complète. Mais celles qui supposent leur incompétence sont fausses.</p>
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/08/12/Limiter-le-chiffrement#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] Du coup, nos supers espions à nous pourront espionner toutes les boîtes du monde, et c'est trop la classe. Certain que les russes, les chinois ou les américains seront trop nigauds pour espionner nos entreprises à nous.</p>
<p>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/08/12/Limiter-le-chiffrement#rev-wiki-footnote-2" id="wiki-footnote-2">2</a>] Et, non, je ne pratiquerai pas l'exercice illégal de la médecine en posant sérieusement un diagnostic. Le fait d'avoir un comportement irrationnel, piloté par la peur, et par une peur hors de proportion, ça suffit à critiquer une mesure, pas à poser un diagnostic sérieux sur un individu. Par ailleurs la grande majorité des gens qui souffrent de problèmes psy ne sont pas "fous" au sens commun du terme, et sont tout à fait capables de dominer leurs peurs pour prendre des décisions rationnelles.</p>
<p>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/08/12/Limiter-le-chiffrement#rev-wiki-footnote-3" id="wiki-footnote-3">3</a>] On pourra utilement remplacer la jeune fille vierge, utilisée traditionnellement, par un Pokémon récemment capturé. Ça aura la même force symbolique, pour les Dieux, mais ça évite de faire du mal à des gens qui n'y sont pour rien.</p>
<p>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/08/12/Limiter-le-chiffrement#rev-wiki-footnote-4" id="wiki-footnote-4">4</a>] Je n'ai pas envie de me lancer en longueur sur ce sujet, mais les sociétés dont la population est jeune sont plus confiantes, et ont plus envies de changer le monde, que celles dont la population est âgée. J'avais lu une étude très intéressante par exemple sur le fait que les révolutions ont lieu dans des sociétés jeunes, avec une pyramide démographique très particulière, typiquement quand la majorité de la population à moins de 20 ans. Le fait de vivre dans un pays de vieux, ça ne dit pas que chaque individu devient facho quand il est atteint d'une maladie magique qu'on attrape à 60 ans et 12 jours. Non. Ça fait qu'on vit dans un pays qui a des préoccupations de vieux, des angoisses de vieux. Même quand on est jeune. Ça change la façon dont notre société se perçoit, et se vit.</p>
<p>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/08/12/Limiter-le-chiffrement#rev-wiki-footnote-5" id="wiki-footnote-5">5</a>] Oui, la télé, elle dit cryptée, parce que ça fout la trouille. Y'a une crypte. Un vampire. Des méchants. Une sorcière. Enfin un truc grave, vu que y'a une crypte.</p>
<p>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/08/12/Limiter-le-chiffrement#rev-wiki-footnote-6" id="wiki-footnote-6">6</a>] Oui, je met un machin de BFM en lien. J'ai honte, un peu, quand même.</p></div>
https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/08/12/Limiter-le-chiffrement#comment-formhttps://edgard.fdn.fr/blog/index.php?feed/atom/comments/23Faire !urn:md5:7c9c38f72972836dc84c5cf2e904ef5f2016-01-26T22:29:00+01:002016-01-27T09:33:58+01:00Benjamin BayartPolitique<p>Lors du dernier quadr'apéro auquel j'ai participé, j'expliquais à un groupe de gens en train de s'alcooliser également une idée qui me semble simple, presque évidente, mais qui leur paraissait abstraite. J'ai eu depuis l'occasion de la ré-expliquer à d'autres, et elle leur semblait aussi inattendue ou étrange. Du coup je viens la raconter par écrit.</p>
<p>C'est une idée assez simple, en lien en particulier avec la notion d'engagement politique : il importe de faire le monde que nous voulons, beaucoup plus que de lutter contre le monde que nous ne voulons pas.</p> <h3>Poser le problème</h3>
<p>J'ai été amené récemment à expliquer le même concept à partir de deux points de vue différents.</p>
<p>Le premier était lié aux luttes difficiles que nous menons sur le front politico-juridique contre pas mal de textes (loi sur le renseignement, état d'urgence, conservation des données de connexion, etc). Mes interlocuteurs considéraient que puisque la seule forme d'écoute que nos politiques peuvent accorder est celle des actions violentes, alors nous devions devenir violents, mettre le feu à des immeubles, des voitures, bloquer des rues, etc. J'en comprends la logique, les taxis ou les agriculteurs sont entendus comme ça, alors que nous qui jouons dans les règles sommes moqués et ignorés. Il ne viendrait à l'idée d'aucun ministre ou d'aucun député de moquer les agriculteurs ou les taxis. Mais nous moquer, nous qui sommes des gentils, il peut se l'offrir. Si la méthode brutale marche pour eux, on peut l'utiliser aussi, n'est-ce pas ?</p>
<p>Le second était lié à des histoires de financement. Pour financer telles des activités qui comptent pour nous, une solution peut être de monter une boîte qui vende des prestations (formation, par exemple, sur la sécurité informatique, ou sur l'usage des outils, ou...), et de faire de cette boîte une pompe à fric, compréhensible pour l'ancien monde des affaires (ça fait des factures, ça vend un truc), et qui permette de financer des projets clefs, politiques ou techniques, surtout techniques dans l'idée de mon interlocuteur. Si des boîtes sont capables de payer des milliers d'euro du conseil bidon, et ne comprennent pas qu'il faut donner 500 balles pour GPG ou pour OpenSSL, c'est une méthode qui semble séduisante. Et pourtant non, parce qu'elle nous force, nous, à rentrer dans leur monde pourri à eux, à changer nos esprits pour nous accorder au leur. Et c'est une erreur stratégique.</p>
<p>Dans les deux cas, j'arrive à la même idée : il importe de faire notre monde, notre société, selon nos méthodes. Nous voulons le faire sans passer par la case business ? Alors ne passons pas par cette case-là. Parfois, pour faire notre monde, notre société, avec nos règles, il faut que nous passions du temps à empêcher les nuisibles de trop nuire. Il faut par exemple essayer d'atténuer, un peu, le mal que nos politiques peuvent faire au monde quand ils essayent à toute force de s'accrocher au pouvoir contre toute logique, contre tout bon sens. Quand ils privilégient leurs petits intérêts électoraux, en agitant les peurs pour monter dans les sondages, au lieu de privilégier l'intérêt général en cherchant à apaiser la société. Quand ils utilisent les prétextes les plus vils pour assouvir leur soif de pouvoir. Leur envie de contrôler une société qui est en train de leur glisser des mains.</p>
<h3>Essayer de l'expliquer</h3>
<p>Le résultat est souvent frustrant. On voit OpenSSL ou PGP, qui sont des pièces centrales de toute forme de business en ligne, de toute forme de défense de la vie privée et de la sécurité de nos données, n'être ni financés ni soutenus. L'industrie s'en fiche. Les politiques s'en fichent. En matière de sécurité informatique, il n'y a rien qui puisse être plus urgent que de rendre solides et pérennes de tels développements. Rien. S'il y a une seule urgence, elle est là. Parmi les millions dépensés par la France en sécurité informatique, combien sont consacrés à ça ? Zéro. Pas le plus petit pouillème. C'est rageant au dernier degré. C'est à vous dégoûter de toute forme de politique. Oh, et pas même la déductibilité des dons de votre feuille d'impôts. Zéro je vous dit. Pire, ils seraient bien capables de re-qualifier comme lucrative, bien que désintéressée, l'association qui gérerait ça, et donc la soumettre à la TVA et à l'impôt sur les sociétés<sup>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/01/26/Faire#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup>. C'est à hurler.</p>
<p>Pourtant, ce qui compte c'est de faire notre monde. <em>Selon nos règles. Malgré leurs bêtises.</em> Tout est là.</p>
<p>Lutter pour réduire la nuisance de leurs bêtises, en essayant de faire rentrer un tout petit peu d'intérêt général dans leur champ de compréhension du monde qui vient, c'est bien, c'est dans le bon sens. Mais ce n'est pas la finalité. C'est un moyen de protéger le monde que nous voulons, et que nous faisons, sans eux, malgré eux.</p>
<p>Il ne faut pas perdre de vue la société que nous voulons. Nous ne voulons pas de la façon habituelle de faire des affaires et des logiciels et des ordinateurs, alors ne rentrons pas dans leur jeu. Bien sûr, quand on voudrait bosser à plein temps sur un projet d'intérêt général et qu'on ne peut pas, qu'on est obligé de vendre sa force de travail à des malfaiteurs à la place, c'est frustrant. Ça nous ralentit. Mais faire rentrer nos projets dans leur système, c'est tout perdre. Il vaut mieux ne perdre que 35 heures par semaine à gagner de l'argent pour mener nos actions utiles le reste du temps. Quitte à tout perdre, autant laisser tomber et ne rien coder, ne rien faire.</p>
<p>De mon point de vue, il y a deux sortes de choses utiles : réduire les nuisances sans renoncer à ce que nous faisons, d'une part. Et faire le monde que nous voulons, d'autre part.</p>
<p>Réduire les nuisances, c'est une très grosse part de ce que j'essaye de faire, depuis des années, par La Quadrature, par les actions juridiques de FDN puis de la Fédération FDN, par la participation de la Fédération aux travaux de l'ARCEP, etc. Le but n'est pas d'en faire sortir un réseau propre et défendant l'intérêt général. C'est impossible comme ça. Le but est de les empêcher de <em>trop</em> nous nuire.</p>
<p>Faire, construire, c'est l'essentiel de ce que je fais quand je fais en sorte pendant 14 ans que FDN existe et tourne. Je suis loin d'être seul à le faire, et ça fait partie intégrante de ce que je veux comme monde : faire ensemble. Du réseau propre, fait en groupe, par nous, pour nous. Pas du réseau propre fait par un mec tout seul. Du réseau fait ensemble, des gens qui apprennent ensemble, qui font circuler du savoir, qui créent du lien humain au moins autant qu'informatique, qui prennent soin les uns des autres, qui se soutiennent. C'est aussi ce que je fais quand je pousse, depuis 5-6 ans, à l'émergence d'autres FAIs associatifs. Là non plus, je ne suis pas seul à le faire. Là aussi, le collectif est un élément essentiel du projet.</p>
<h3>Martin Persil</h3>
<p>Mais quel rapport ? Depuis quelques jours, je vous tanne (pour ceux qui me suivent sur touitteur) avec le projet de cantine à roulettes de Scar. Mais quel rapport ? Normalement, je parle de typo ou d'Internet, pas de cuisine. Je ne suis pas réputé être un grand promoteur des projets vegan...</p>
<p>En fait, ce que fait Scar dans ce projet, la façon dont il bosse, la façon dont ça fonctionne, la façon dont c'est pensé, c'est exactement ce dont je parle ici. Il fait ce qu'il peut pour pousser vers le monde qu'il veut. Et le monde qu'il veut, il ressemble bigrement à celui que je veux, à celui d'Internet. Fait de gens qui échangent, qui communiquent, qui se retrouvent tous à la même table alors qu'ils n'ont pas les même mœurs alimentaires. Où on travaille (ici à cuisiner) pour construire du lien social, et pas pour construire une fortune personnelle.</p>
<p>Son projet, à Scar, je trouve qu'il ressemble énormément à ce qu'on essaye de faire comme monde. Il s'y intègre parfaitement. Des circuits d'approvisionnement courts, des façons de faire du travail tout ce qu'il y a de plus sérieux, mais dans une ambiance qui autorise à aimer les gens, à vivre avec eux tout autant qu'on produit avec eux. Scar, il fait du manger comme je voudrais qu'on fasse du réseau, sérieusement, mais sans jamais oublier qu'on le fait ensemble. Faire, ensemble, avec bienveillance, et avec sérieux, en prenant soin des gens.</p>
<p>Voilà pourquoi je vous tanne pour qu'on arrive, collectivement, à trouver les quelques sous dont il a besoin.</p>
<p>C'est <a href="https://www.kickstarter.com/projects/martinpersil/martin-persil-la-cantine-vegan-a-roulettes" hreflang="fr" title="ici">ici</a>. Et c'est maintenant.</p>
<h3>Faire</h3>
<p>Voilà la notion que je voulais exposer ici : ce qui fait qu'on gagne à la fin, ce n'est pas que nos politiques se réveillent, un matin, ayant renoncé à leurs ambitions personnelles. Ce n'est pas qu'on a réussi à gagner nos guerres contre eux. C'est que le monde a changé, malgré eux. Et pour que le monde change, en plus de les ralentir, il faut <strong>faire</strong>. Faire le monde que nous voulons.</p>
<div class="footnotes"><h4>Note</h4>
<p>[<a href="https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/01/26/Faire#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] Je ne déconne pas, ils l'ont fait pour FDN.</p></div>
https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2016/01/26/Faire#comment-formhttps://edgard.fdn.fr/blog/index.php?feed/atom/comments/21Être candidat aux européennes ?urn:md5:3f8b0d75849326336f4b668bce899fcb2014-03-13T17:34:00+01:002015-11-26T11:47:19+01:00Benjamin BayartPolitiqueEurope<p>La question n'est pas récente. Elle est même plutôt ancienne, en vrai. La première fois qu'on m'en a parlé, c'était pendant la bataille Hadopi. On sortait de je-ne-sais-plus quelle causerie autour du sujet, et on était en train de prendre un pot. C'est Fred Neau, à l'époque responsable du numérique pour les Verts Paris, qui avait lancé l'idée. D'abord de me voir député-tout-court (donc à l'Assemblée Nationale), puis, parce que je me proclamais incapable des coups-bas que demande une campagne sur un scrutin uninomial, de lancer "d'accord, mais aux européennes, ça pourrait".</p><p>Depuis, le paysage politique s'est dramatiquement assombri. En particulier, sur les sujets qui me préoccupent et où je suis compétent, c'est-à-dire sur tout ce qui touche au numérique. Le PS au pouvoir s'est montré à peu près aussi mauvais que l'UMP. Et avec des conséquences que je pense graves (j'y reviendrai). Bref, je résume, le paysage politique continue de pourrir, comme l'explique Eric Walter, le secrétaire général de la Hadopi dans <a href="http://www.ericwalter.fr/essays/2014/03/vote-blanc-ou-cheque-en-blanc/">un billet de blog</a>.</p><p>Le changement récent, c'est la création d'un machin qui s'appelle <a href="http://www.nouvelledonne.fr">Nouvelle Donne</a>, et qui se targue de vouloir faire de la politique autrement. J'ai découvert quand Isabelle Attard les a rejoint. Depuis, l'idée me tourne dans la tête. Tout comme Eric Walter, je ne me sens plus capable de voter pour aucun des partis usuels, ils sont vraiment tous trop... Je ne sais même pas quoi dire... Ils font n'importe quoi, effrontément, et supposent béatement que personne ne verra rien.</p> <p><b>Numérique, crise, polycrise, et analyse de contexte.</b></p><p>Le mot <i>Polycrise</i>, je l'ai piqué dans un bouquin de Michel Rocard. Il désigne le fait que trois crises majeures, qui chacune pourrait boulverser une quantité incroyable de choses, sont en train de se produire en même temps.</p><p>La première, c'est l'explosion à répétition de la finance hors de contrôle. Le dernier cas similaire connu, c'est celui de 1929, qui se traduit par des politiques d'austérité dans toute l'Europe. Ces politiques poussent à la monté des extrêmes dans toute l'Europe, jusqu'à la prise du pouvoir par les fascistes en Italie, les franquistes en Espagne, et les nazis en Allemagne. Regardez bien, on est pile sur cette pente là, et pile dans le timing. Pardon ? Ah oui, la gauche est au pouvoir en France. Oui. Tout juste. En 1936, 3 ans avant la guerre, ça s'appelait le Front Populaire.</p><p>La seconde crise, c'est la fin des énergies fossiles. Pour le pétrole, le déclin est commencé, on ne peut pas en produire vraiment plus, et on va même être contraint d'en produire progressivement de moins en moins, et de plus en plus cher. La totalité de notre économie repose sur le postulat que l'énergie ne coûte presque rien. Et, comme le montre très bien JM Jancovici dans ses différentes conférences, le PIB est directement indexé sur la production d'énergie. Retrouver de la croissance sans trouver une source d'énergie bon marché et non-polluante, c'est impossible. Cette crise-là aussi, sera majeure.</p><p>La troisième crise, c'est l'avènement du numérique et d'Internet. Je l'ai expliqué dans assez de conférences, allez voir <a href="http://www.iletaitunefoisinternet.fr/comprendre-un-monde-qui-change-internet-et-ses-enjeux-benjamin-bayart/">en ligne</a>. La société change. Vite. Beaucoup. Ce changement de société peut se passer relativement en douceur. Ou pas. Le précédent qui vient en tête, c'est l'apparition de l'imprimerie, qui s'est traduit par le protestantisme d'une part (et donc le bain de sang des guerres de religion dans toute l'Europe) puis par les Lumières et la Révolution Française ensuite (pas mal sanguinolante aussi).</p><p>Ces trois changements majeurs ont lieu, peu ou prou, en même temps. Et tous les trois peuvent nous amener dans le mur. Et aucun de nos politiques n'en parle sérieusement.</p><p><b>Mon approche initiale</b></p><p>Après avoir pas mal gratouillé le sujet. Après avoir vu Françoise Castex, députée européenne que je respecte pour son travail sur les sujets du numérique, et ses positions (par exemple) contre ACTA, quittait le PS pour Nouvelle Donne, et donc avoir recommencé a gratouiller dans cette direction, je me suis fait une opinion.</p><p>J'en arrivais à : être sur une queue de liste électorale, et donc devenir marqué politiquement, c'est sacrifier la légitimité que j'ai (chèrement) acquise sur tous ces sujets, pour n'avoir rien en échange. Pas plus d'écoute, pas plus de capacité d'expliquer à des politiques toujours sourds. Bref, ce serait sacrifier l'utilité que je peux avoir en échange de... rien.</p><p>Puis, lors d'une visite à Bruxelles (j'allais expliquer la neutralité du Net à des assistants parlementaires du groupe ALDE), je me retrouve, alors que ce n'était pas prévu à l'agenda initial, à boire quelques bières avec l'assistant parlementaire de Castex. Et lui m'explique clairement qu'il manque un pilier numérique à Nouvelle Donne, et que je devrais me présenter aux européennes, que ça lui semble évident que je pourrais être tête de liste, et qu'en gros, ils pourraient bien adopter un programme sur le numérique que j'aurais écrit à 80%.</p><p>La question change alors tout d'un coup. Je pensais que j'obtiendrais au mieux une place inutile en fin de liste. Mais là on me parle d'être peut-être à la tête d'une liste (y'a une procédure à suivre et tout ça, mais au moins ce n'est pas exclus), donc d'avoir une vraie chance pas complètement nulle de me retrouver député européen, et donc d'aller mettre du numérique partout dans le parlement européen...</p><p><b>La gamberge</b></p><p>Du coup, je prend rendez-vous avec Isabelle Attard, qui est membre du bureau national de Nouvelle Donne, et je commence à gamberger sur le sujet. Je me dresse une liste des points négatifs, il y en a une quantité invraissemblable. Je me dresse une liste des points positifs, il y en a 2-3 importants.</p><p>Dans les points négatifs, en vrac, c'est pas mon boulot, je n'aime pas travailler en anglais, je vais perdre tout le crédit que j'avais obtenu pour défendre les associations, je vais foutre mon patron dans la merde (il va perdre son directeur technique), je ne serai plus écouté en France, étant marqué politiquement, de toutes façons je ne serai pas élu, et même si j'étais élu, c'est pas moi tout seul qui bougerai le Parlement Européen, et de toutes façons c'est la Commission qui bloque autant qu'elle peut.</p><p>Dans les points positifs, il y a le fait que je ne peux pas me plaindre de la politique menée, et refuser de participer quand on me le propose. Il y a que Snowden a montré avec raison que nos gouvernement luttent <i>contre</i> nous, et qu'on ne peut pas laisser passer. Il y a que, quand on veut que quelque chose avance, il faut le faire, au lieu d'en parler.</p><p>Comme tout libriste habitué, en pareil cas, je lis. Tout ce que je trouve comme documents sur le fonctionnement interne de Nouvelle Donne, ce que publie le ministère de l'Intérieur sur l'organisation des élections. Les règles pour être candidat, le financement de tout ce merdier, le mode de scrutin, etc.</p><p>Alors voilà. Après mûre réflexion, les points négatifs, bon, ils sont négatifs. Mais je ne peux pas raler si je n'ai pas essayé de faire. Je ne saurai pas? Sans doute. J'apprendrai, ou au moins j'aurais essayé.</p><p>Du coup, j'en suis à poser le scénario type:</p><ul><li>Si je me porte candidat à la candidature, il y a toutes les chances pour que je ne sois pas désigné, ou seulement loin sur la liste, et donc avec aucune chance d'être élu. En pareil cas, je retire ma candidature, c'est idiot de sacrifier un acquis pour rien.</li><li>Si par mégarde j'étais placé en tête de liste, alors, il y a un trou noir. Il faut que je fasse campagne, sérieusement, pendant deux mois. Et donc que je vive sans salaire. J'ai beau avoir un très joli salaire, je n'ai pas un sou de côté. Mettons, je fais clodo pendant deux mois. Normalement, je ne suis pas élu, et je peux retourner au travail. J'ai sacrifié 15 ans de vie associative, mais au moins j'aurais essayé de faire quelque chose.</li><li>Si jamais je suis élu, alors là c'est la catastrophe. Mais ça devient passionant. J'ai 5 ans pour essayer de faire bouger quelque chose, en espérant que l'Europe de soit pas à feu et à sang avant ça.</li></ul><p>Et là, je ne sais pas. J'y vais ? J'y vais pas ?</p>https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2014/03/13/%C3%8Atre-candidat-aux-europ%C3%A9ennes#comment-formhttps://edgard.fdn.fr/blog/index.php?feed/atom/comments/11À propos d'Interneturn:md5:e50721ac1c0ac0d3e7bdbeef3b4285c52006-03-25T18:27:00+01:002015-11-26T20:56:23+01:00Benjamin BayartPolitique<p><em>Ce billet ne me plait qu'à moitié, parce que j'ai le sentiment qu'il n'est pas terminé. Il sera sans doute modifié de temps en temps, et agrémenté d'autres.</em></p><p>Une de mes activités les plus chronophages est d'être le président de <a href="http://www.fdn.fr">FDN</a>. FDN est une association loi 1901, qui est un des plus anciens fournisseurs d'accès en France, et un des rares à être encore en vie après autant de temps (l'association date d'avril 1992, l'année prochaine on fêtera les 15 ans). Ça m'a souvent amené à réfléchir sur ce qu'est Internet et où il va. Voilà quelques unes de ces réflexions.</p> <p>Beaucoup de gens commencent à prendre conscience du fait qu'Internet représente une opportunité de démocratie et de liberté de parole. À tel point que nos politiques font semblant de l'approuver, pour ne pas donner l'impression qu'ils sont dépassés par les évennements.</p><p>Cette opportunité de démocratie, et cette liberté de parole, sont à l'heure actuelle une vérité : chacun est convenablement libre de prendre la parole sur Internet, et un nombre croissant de citoyens s'en servent pour réfléchir sur des sujets politiques. La structure d'Internet est d'ailleurs telle que, n'ayant pas de centre névralgique, il est très difficile de censurer le contenu qui s'y trouve. En effet, s'il existe des millions (ou même des milliards) de serveurs, comment faire taire tous ceux qui tiennent des propos déplaisants ?</p><p>Mais les évolutions technico-financières qui ont accompagné le développement grand public d'Internet ont un impact fâcheux sur la structure du réseau. Il est conçu, sur le principe, complètement décentralisé. De nos jours, dans la pratique, il ne l'est plus. Ou il est en passe de ne plus l'être. Quand un petit nombre d'entreprises privées détiennent plusieurs centaines de millions de boîtes aux lettres (je pense ici à Google, Yahoo, Hotmail, etc), ce sont autant de voix qu'on peut filtrer, fliquer, et faire taire. C'est autant de correspondance privée qui est livrée à la merci d'organismes dont le but premier est la rentabilité plutôt que l'éthique.</p><p>De la même manière, l'immense majorité des blogs est hébergée par un nombre très restreint de structures. Comme les sites web d'ailleurs, la très vaste majorité est située chez des hébergeurs commerciaux dont l'éthique n'est pas la priorité : mettez dans la balance, d'un côté, le fait de préserver la liberté de parole d'un client aux opinions jugées subversives et, de l'autre côté, le fait de devoir se fâcher avec des représentants de l'ordre pas forcément accomodants. Un entrepreneur raisonnable, qui doit défendre son business, sans pour autant être un parfait salaud, va choisir de ne pas se fâcher avec les autorités. C'est logique. Il ne va pas compromettre son entreprise, les emplois de ses salariés, et ses bénéfices, pour les beaux yeux d'un client qu'il ne connait probablement pas.</p><p>À bien y réfléchir, la situation est encore plus caricaturale quand on parle de l'accès à Internet. Déjà, avant le développement massif d'ADSL, un vingtaines de fournisseurs d'accès regroupaient la presque totalité des internautes français. Mais avec l'arrivée de l'ADSL, ça s'accentue : France Télécom détient un monopole clair sur l'accès physique (le fil de cuivre du téléphone lui appartient), et en regroupant 6 entreprises on a la quasi-totalité des accès au réseau (Wanadoo, Free, NeufCegetel, Télé2, Alice, et Club-Internet). Si on épluche un peu le capital de ces entreprises, on se rend compte qu'il n'y a là-dedans rien qui ressemble de près ou de loin à des structures à taille humaine : rien que du grand groupe international, rien que du côté en bourse. Donc rien que de l'entreprise sans conscience et sans scrupule.</p><p>Le lecteur un peu informé me rétorquera qu'il existe des alternatives. Bien entendu. C'est dans le monde de l'hébergement de sites web que c'est le plus clair : il existe un bon nombre d'hébergeurs associatifs, de PMEs, de coopératives. Pour le mail, c'est un peu plus délicat à trouver, mais c'est encore possible. Par exemple en allant ouvrir un compte chez <a href="http://no-log.org">no-log</a>, ou en décidant qu'on fait plus confiance à La Poste qu'à Google (ce qui, dans mon cas, n'est pas clair, l'aspect service public de La Poste semblant des plus compromis).</p><p>Mais en matière d'accès Internet, il en va tout autrement. En septembre, FDN a lancé une offre d'accès ADSL, les gens qui lisent ce texte le savent sans doute. Ça n'offre pas des garanties myrifiques : FDN n'a pas les moyens de monter un réseau physique qui puisse tenir tête à ceux des grandes entreprises. Mais ça offre tout de même des garanties. Et surtout, ça participe d'un mouvement dans le bon sens : ça contribue à apporter un peu de diversité à un endroit où on en manque cruellement.</p><p>Il nous reste 5 opérateurs majeurs en France disposant d'un réseau physique (Télé2 n'a pas vraiment de réseau en propre), il y a fort à parier que dans quelques années il n'en restera que 3. Il reste en europe une petite trentaine d'opérateurs ayant un réseau physique, dont nombre des opérateurs historiques de chaque pays, il y a fort à parier qu'on tombe à une dizaine tout au plus dans quelques années. C'est une pente dangereuse, glissante. C'est le contraire de ce que devrait être Internet.</p><p>Mais cet état de fait n'est pas un hasard, et n'est pas le fruit du marché capitaliste. Si on s'état contenté de privatiser France Télécom, le marché n'aurait pas, de lui-même, créé ces quelques entreprises concurentes. La situation actuelle est bien le fait d'un marché régulé. La volonté du régulateur n'est pas toujours claire, quand on lit les textes. Par contre les actes, eux, sont limpides. Ils vont toujours dans le même sens : permettre à quelques entreprises de grande envergure de se disputer le marché, mais interdire aux petits d'émerger. L'état actuel est bien une solution <em>choisie</em> politiquement, et non subie. En fait, cela découle de la solution retenue pour la régulation.</p><p>D'autres solutions plus radicales auraient pu être envisagés par nos politiques lorsqu'ils ont décidé de l'ouverture du marché des télécoms à la concurrence libre et non-faussée, comme ils disent. Par exemple, il aurait pu être décidé d'interdire les trusts verticaux : interdiction de posséder le réseau physique d'accès et d'opérer les accès dessus.</p><p>Ce ne serait pas idéal, mais ce serait déjà mieux. On aurait sans doute des systèmes monopolistiques, ou de grands groupes, qui possèderaient le réseau physique, mais ils auraient interdiction de fournir de l'accès à Internet à partir de ces tuyaux.</p><p>Dans la situations actuelle, les trusts verticaux jouent un grand rôle. Plutôt que de chercher à les définir, on se contentera de regarder deux exemples :</p><ul><li class="item">France Télécom possède le réseau de cuivre, et fournit l'accès ADSL physique dessus, en concurrence avec ses clients NeufCegetel, Free, Alice et Club-Internet. On peut tourner et retourner le problème comme on veut, si l'ART arrête de surveiller France Télécom, cette concurrence va disparaître du jour au lendemain, parce qu'elle est artificielle. France Télécom arrêterait de louer son bien à ses concurents.</li><li class="item">De la même manière NeufCegetel fournit l'accès ADSL physique (en louant le fil de cuivre à France Télécom), mais aussi l'accès à Internet, en concurrence avec ses clients dont FDN, Nerim, Télé2, et d'autres. Ici, l'autorité ne régule pas, considérant qu'il n'y a pas lieu de le faire, parce que NeufCegetel n'est pas seul sur son marché. À deux ayant le monopole d'une ressource, il y a concurrence, c'est bien connu.</li></ul><p>Ce mélange des genres est très préjudiciable, il verrouille le marché, et le force à se concentrer dans les mains de quelques-uns : ceux qui sont ces trusts verticaux. Si on laissait faire le marché, en quelques mois tout ce beau monde disparaitrait au profit du seul France Télécom. Nos politiques ont choisi une politique de régulation : ils veulent qu'il y ait un semblant de concurrence. Disons 2 ou 3 opérateurs pour chaque pays. Ça permet de se donner bonne conscience, et on est certain de ne pas voir émerger trop de petits indépendants.</p><p>La forme de marché libre mais régulé qui a été retenue nous mène donc tout droit dans un monde dans lequel toute l'infrastructure d'Internet sera dans les mains de quelques grands groupes, avec tous les risques éthiques que cela comporte. Il faut bien revenir sur ce point : cette situation n'est <em>pas</em> le résultat du marché seul. Le marché seul aurait laissé perdurer le monopole. C'est le fruit d'une régulation. C'est donc, fondamentalement, un choix politique, un choix de société. Nos politiques ont choisi, par leurs actes, une société dans laquelle Internet, comme les autres médias, est le plus possible dans les mains de quelques grands groupes.</p><p>Cette position de nos dirigeants, même si elle n'est pas forcément conciente de leur part d'ailleurs, est facile à comprendre. Ça correspond au schéma dont ils ont l'habitude. Ils essayent de reproduire le modèle de la presse, avec quelques points de contrôle facilement identifiables (des patrons de journaux dans un cas, des patrons d'opérateurs dans l'autre). Attendre d'eux qu'ils changent d'avis, et que donc ils modifient la régulation pour créer un marché très ouvert en interdisant les trusts verticaux, ça relève de l'utopie. Ça revient à attendre qu'ils fassent une révolution culturelle. L'expérience montre qu'en matière d'évolution des modes de pensée, ils seraient plus volontier suiveurs.</p><p>Il est souhaitable que l'avenir d'Internet soit de se re-diversifier, ce serait la seule bonne garantie de la liberté de parole sur le réseau, mais tout laisse présager que les mouvements de concentration vont se continuer.</p><p>Reste donc à chercher comment cette évolution peut avoir lieu pour qu'elle puisse par la suite aller influencer l'organisation de notre société numérique. Une des approches possibles est de décider de résister avec les moyens du bord : c'est l'approche qui consiste à essayer de faire tourner FDN contre vents et marrées. Celle qui consiste, alors que la structure n'est pas encore rentable, à pousser autant que faire se peut à la création de structures similaires dans d'autres pays d'Europe. Après tout, c'est ce que font les gens qui s'intéressent au même type de problème dans la production agricole, et c'est assez voisin de ce que font les gens du logiciel libre.</p><p>Il n'y a pas de solution miracle, pas de remède simple. La seule chose que chacun puisse faire est de chercher à prendre son indépendance vis-à-vis de ces structures. Bien entendu, au premier chef, ceux qui ont des choses à dire qui risqueraient de déranger. Mais aussi ceux qui pour le moment n'ont pas grand chose à dire, mais tiennent à conserver leur liberté de parole pour l'avenir. Pour garder son indépendance, c'est relativement simple, sur le principe : s'adresser aux petites structures plutôt qu'aux grands groupes.</p><p>Dans la pratique, ce n'est pas forcément aussi évident. Si les 8 millions d'abonnés au haut débit en France deviennent adhérent de FDN, ce ne sera plus une petite structure. Si les millions de pages perso qui sont chez Free passent chez <a href="http://lautre.net">L'autre.net</a>, ce ne sera plus une petite structure non plus. Il faut donc une démarche un peu plus militante de la part de certains : une fois que les structures existantes auront atteint une taille raisonnable qui garanti leur stabilité et leur éthique, il sera temps de monter d'autres structures, similaires ou approchantes. On n'en est clairement pas là cependant.</p><p>La nécessité d'avoir un réseau Internet éthique relève du même mode de pensée que de chercher à éviter la mal-bouffe : le seul critère de rentabilité, qui est celui des grosses entreprises, n'apporte pas les garanties suffisantes en matière d'éthique. Qu'on ne se trompe pas : les problèmes sont très différents. Dans un cas on parle plutôt de santé publique, dans l'autre on parle de liberté d'expression. Mais si on regarde l'organisation économique qui engendre ces deux problèmes, et qu'on cherche comment les prévenir, on tombe sur des solution très similaires.</p>https://edgard.fdn.fr/blog/index.php?post/2006/03/25/%C3%80-propos-d-Internet#comment-formhttps://edgard.fdn.fr/blog/index.php?feed/atom/comments/17